Article d'opinion: Tunisie en aout 2015 - Deux réponses possibles

Depuis sa formation en décembre 2014, l'Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) a adopté seulement 24 lois, la plupart dans les domaines financier et sécuritaire. Au moment où les défis demandent des réformes dans tous les domaines politiques (fiscalité, politique énergétique, réformes socio-économiques, investissement et réforme administrative) jusqu'à l'instauration de la Cour Constitutionnelle. S'y ajoute le défi sécuritaire.

Cette fois il ne s'agit pas d'attentats politiques individuels comme en 2013, ni d'attaques contre les forces sécuritaires dans l'ouest du pays comme en 2014. Cette année, il s'agit d'attaques ciblées contre des étrangers et touristes et par la même occasion d'un pilier de l'économie tunisienne.

Le deuxième attentat en 2015 à Sousse était l'équivalent tunisien de l'impact du deuxième avion qui a heurté la tour du World Trade Center le 11 Septembre à New York: la réalisation choquante d'être victime d'une attaque systématique, sans pouvoir se défendre efficacement, sans savoir si la menace vient de l'intérieur ou de l'extérieur du pays. La Tunisie est devenue le terrain du jeu libyen et de l'autoproclamé Etat islamique, Daech. Ce moment en plein mois de Ramadan a rattrapé les Tunisiens... l'insécurité et la peur s'installent.

Aujourd'hui, deux réponses semblent possibles à la situation actuelle

La première, menée par le gouvernement actuel et appuyée par le parlement dominé par celui-ci, est l'état d'alerte. La lutte contre le terrorisme est son leitmotiv principal. Les moyens adoptés sont l'état d'urgence, la restriction des jeunes pour voyager, un mur frontalier, une loi anti-terroriste qui attribue des larges pouvoirs aux forces sécuritaires, l'arrêt de 1% de la population depuis janvier et une presse gouvernementale mettant en doute le rôle des ONG et proposant de poursuivre en justice les députés ayant voté contre la loi anti-terroriste.

Cela va encore plus loin si on regarde au-delà de ce qui a été adopté. Un projet de loi sur les secrets d'Etat et le "dénigrement" des forces de sécurité rendant possible des lourdes peines de prison pour toute personne se rendant coupable de divulgation "de secrets relatifs à la sûreté nationale" a été retiré pour le moment, ainsi que des propositions dans la loi anti-terroriste qui auraient redéfini le secret professionnel des avocats, médecins et journalistes les obligeant à révéler des informations suspicieuses sur leurs clients et sources. Un projet de loi censé élargir l'accès à l'information pour le citoyen a été retiré sans explication.

Le message du gouvernement est clair: lorsque nous sommes en insécurité, il faut l'unité et la discipline pour faire face à la menace. Les demandes locales, sociales, environnementales qui sont toujours les mêmes depuis la révolution en 2011 devraient se discipliner jusqu'à ce que l'Etat ait rétabli la sécurité. Pas de temps pour une négociation des choix politiques. Une telle réponse traduit une vision binaire de la situation et consacre la logique "avec nous ou contre nous". Une réponse nuancée se basant sur l'engagement et la négociation est possible face à la situation actuelle.

Il ne s'agit pas de combattre les symptômes mais de s'adresser à la désillusion et le désespoir qui constituent aujourd'hui les vraies menaces pour la sécurité et le bien commun de la Tunisie. Une condition préalable à cette réponse est de prendre au sérieux les mouvements sociaux et leurs revendications.

Certes, la campagne "Winou El Petrol" était marquée par le populisme mais la revendication de transparence des revenus provenant des ressources naturelles, concessions et le réinvestissement dans les régions ainsi que la lutte contre la corruption dans le secteur pétrolier remonte aux premiers soulèvements à Gafsa en 2008. La décrédibilisation de ces mouvements les considérant comme étant des menaces pour l'unité du pays comme à Douz en juin 2015 où un couvre-feu a été instauré et l'armée déployée est le contraire d'une délibération sociétale.

Une consécration de la délibération sociétale serait au contraire d'activement poursuivre la décentralisation. Cette réforme prévue dans la Constitution enverrait un message de confiance vers la gestion locale, lui allouant de la souveraineté avec un budget propre. Elle permettrait aux autorités locales de prendre leurs propres décisions, pour lesquelles la population peut réclamer la redevabilité.

Contrairement à l'allocation de pouvoirs supplémentaires aux gouverneurs, représentants du pouvoir central prévue par la loi anti-terroriste, une campagne positive pourrait promouvoir la fonction locale et expliquerait les nouvelles opportunités de la décentralisation dans des formats en- et off-line avec une visualisation attirante. D'ailleurs, l'annonce récente du gouvernement d'ouvrir des représentations régionales de la coalition va dans la bonne direction.

Après l'acquis remarquable des élections libres et justes en 2014, la scène internationale des organisations et fondations s'est préparée à travailler avec les nouveaux acteurs politiques légitimes, notamment le parlement et les partis politiques. Pourtant dans la situation actuelle, où la large coalition gouvernementale a décidé de partager la gestion plus que la réforme des domaines politiques, cette conclusion semble précipitée.

Des rumeurs concernant des listes communes entre Nidaa Tounes et Ennahdha aux municipales confirment la théorie du "deal" entre les deux plus grands partis à ne pas trop bouger et permettent de comprendre que les forces progressistes-réformatrices restent dans la société civile.

Mourakiboun, une ONG de la nouvelle génération postrévolutionnaire en est un exemple, et au-delà de la dichotomie politique classique de droite-gauche, séculaire-islamiste, ce sont des jeunes ayant obtenu une réputation respectueuse dans l'observation électorale. Cette année, ils travaillent sur l'avancement et la vulgarisation de la décentralisation car ils militent pour une démocratie locale et participative.

Aujourd'hui deux discours se trouvent face à face en Tunisie, le choix entre les deux marquera l'orientation future du pays: le discours de la peur et de la méfiance entre les Tunisiens (un discours déjà adopté pendant la campagne du parti Nidaa Tounes et celle du Président Béji Caïd Essebsi) et le discours du courage, de l'engagement pour des projets qui visent à comprendre et trouver des solutions pour la Tunisie.

Le choix entre un discours passif et un discours actif

D'un côté, il y a la décision de nommer du personnel de l'armée ou de la police gouverneurs et délégués sous prétexte qu'ils sont "capable". N'ayant aucune appartenance politique, ils rendent impossible toute notion de responsabilité... ou la chicanerie policière enquêtant sur le producteur de la série populaire "Bolice" diffusé pendant Ramadan sur Attassia TV parce que le ministère de l'intérieur n'a jamais répondu à la demande d'utiliser les uniformes de police dans la série.

De l'autre côté, il y a l'exemple de Mourakiboun ou le "congrès des intellectuels contre le terrorisme" qui se demandent actuellement "comment est produite la culture du terrorisme et où sont nichés dans les institutions et les départements publics les noyaux qui continuent à produire la culture du terrorisme et à l'encourager".

Espérons que ces dernières impulsions trouveront leur chemin dans des chambres du cabinet et au congrès national contre le terrorisme prévu pour septembre. La Tunisie n'a pas besoin d'un retour des anciennes réponses répressives qui échouent dans tout le monde arabe mais des nouvelles idées positives, engagées pour résoudre les problèmes et définir une notion de sécurité plus globale et long-terme.