Change de sexe en Tunisie: Ou quand le droit confisque les identités

Changer de sexe en Tunisie, Quelle place pour la dignité dans notre système juridique ?
 
« Ma mère me comprend, elle ne m’appelle ni par mon prénom de l’état civil, ni par mon prénom
d’homme, elle ne m’appelle pas… ». Témoignage d’une personne transgenre.
 
Ce témoignage recueilli par notre amie Emma Hsairi du centre d’écoute de l’ATFD résume
une situation complexe et très douloureuse de très nombreuses personnes transgenres. Ma
lecture des témoignages poignants et mes entretiens avec ces personnes, ont bousculé ma
conception de cette thématique… l’incompréhension, la discrimination et la stigmatisation
dont elles souffrent, y compris au sein de la communauté LGBTQI++, m’ont poussé à réfléchir
et à me poser la question : pourquoi autant de discrimination à l’égard de personnes qui
souffrent doublement : d’une part l’incohérence de leur sexe tel qu’elles le perçoivent et leur
sexe juridique tel que figé dans leurs papiers et documents officiels. La violence familiale,
sociale, structurelle, légale… dont elles sont victimes d’autre part.
 
Le Droit, cette norme faite et défaite par les humains, n’est-il pas censé être humain ?
N’est-il pas sensé respecter l’humain dans chaque être humain ? Comment ces normes se
transforment-elles en un calvaire pour des personnes qui n’aspirent qu’à être elles-mêmes…
Et pourtant, des principes tels que la dignité, l’égalité, la non discrimination … sont consacrés
et bien ancrés dans la tradition juridique tunisienne.
 
La dignité est la valeur fondamentale du système des droits humains. La dignité vaut que toute
personne soit respectée et acceptée pour ce qu’elle est ou pour ce qu’elle aimerait bien être.
Cette valeur fondamentale a pourtant été consacrée dans notre Droit moderne depuis au
moins 172 ans, lorsque le Bey Ahmed 1er a aboli l’esclavage un certain 23 janvier 1846…
Valeur reconduite et renforcée dans le Pacte Fondamental promulgué par le Bey Mohamed
le 10 septembre 1857, dont l’article 1er a proclamé la protection de la dignité de tous les
habitants de la Régence, sans discrimination fondée sur la langue, la religion et la race…
Propos confirmés dans la première Constitution moderne de la Tunisie, datée du 26 avril 1861.
De même, la Constitution de la 1ère République du 1er juin 1959, qui dans son article 5
reconnaissait la dignité de la personne comme étant un objectif de valeur constitutionnelle et
plus récemment la Constitution de la 2ème République (du 27 janvier 2014) a fait de la dignité
l’un des fondamentaux de l’Etat de Droit (article 23).
 
Toutefois, durant cette longue période de l’histoire moderne du Droit en Tunisie, la dignité a
été reconnue mais peu consacrée, puisqu’elle n’a pas été suivie par son corollaire : le droit au
libre choix.
 
En effet, tout en faisant de la dignité une valeur fondamentale, le système juridique tunisien
ne l’a pas entourée de principes, de normes et de règles pouvant la rendre réelle et effective.
Notre système juridique continue à exercer une large tutelle sur le libre choix des personnes,
notamment en ce qui concerne leur état civil.
 
A ce niveau, le Droit tunisien (dans sa composante jurisprudentielle) reste marqué par une
approche classique, très peu soucieuse des choix des uns et des autres… Cette tendance se
justifie dans le cadre d’un droit qui continue à figer les identités (masculin et féminin seulement)
et à n’autoriser le changement de sexe que dans des cas exceptionnels, pour des raisons
médicales, et principalement pour les personnes mineures.
 
Cette logique émane d’un droit qui continue à se fonder sur une acception très conservatrice
et moralisatrice des rapports humains, un droit qui pénalise tout comportement jugé
immoral, contraire aux bonnes moeurs et portant atteinte à la pudeur, un droit qui sanctionne
l’homosexualité de trois ans de prison…
 
Dans cet environnement très mitigé, l’Association tunisienne de défense des libertés
individuelles (ADLI), grâce à cette étude réalisée par le docteur en droit Habib NOUISSER,
engage le débat sur la question du changement de sexe et propose des pistes de réflexion pour
améliorer le cadre légal tunisien en s’inspirant du droit comparé…
Espérant ainsi pouvoir un jour alléger la souffrance de ceux et celles auxquels le droit impose
une schizophrénie insupportable du fait de l’inadéquation de leur identité sexuelle ou de genre
avec leur identité juridique.
 
Pour qu’un jour Sandra, Nancy, Dolly, Jalel, Sami, Ahmed… soient des citoyennes et des
citoyens à part entière…
 
 
Product details
Date of Publication
Mai 2018
Publisher
Association Tunisienne de Défense des Libertés Individuelles (ADLI), Heinrich Boll Stiftung
Number of Pages
90
Licence
Tous droits réservés
Language of publication
Français, Arabe, Anglais
ISBN / DOI
987-9973-9821-5-5
Table of contents
 
SOMMAIRE
 
NOTE DE SYNTHÈSE
 
INTRODUCTION
 
Chapitre 1 - Etat des lieux du droit tunisien
I - Au niveau législatif : un silence préjudiciable
A - La question de la modification du sexe juridique
B - L’hypothèse du changement du sexe anatomique
II - Au niveau jurisprudentiel : une rigidité contestable
A - La mutation sexuelle spontanée
B - Le changement de sexe médicalisé
 
Chapitre 2 - Les perspectives d’une évolution
I - Les solutions élaborées dans les droits comparés
A - L’exemple espagnol
B - L’exemple irlandais
C - L’exemple argentin
D - L’exemple maltais
E - L’exemple français
F - L’exemple iranien
II - Ebauche de solutions pour le droit tunisien
A - Le cas du mineur
B - Le cas du majeur
 
CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS
 
BIBLIOGRAPHIE
 
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ar_ang_changer_de_sexe_synthese_2.pdf
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