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Les libertés individuelles des étrangères et des étrangers en Tunisie : Les métèques de la République

La présente étude se propose d’analyser, sous le prisme des droits fondamentaux, la situation des étrangers en Tunisie.

La Constitution tunisienne de 2014 n’a pas fait une place particulière à l’étranger, mais elle a reconnu à chaque personne, quelle que soit sa nationalité les droits et libertés fondamentales. C’est ainsi que le droit à la vie, le droit à la dignité, et le droit au respect de la vie privée sont garantis à toute personne indépendamment de son appartenance nationale. Les libertés d’opinion, de pensée, d’expression, d’information et de publication sont aussi protégées indépendamment de toute condition de citoyenneté ou de nationalité.

La Tunisie a également ratifié de nombreuses conventions internationales, universelles ou régionales, qui protégèrent les étrangers. C’est ainsi que la Tunisie a adhéré à la Convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés.

Cette Convention définit le réfugié, et lui reconnait un droit à l’asile.

D’autres instruments internationaux relatifs aux droits humains fondamentaux protègent l’étranger. Ainsi, l’article 2 du Pacte relatif aux droits civils et politiques pose le principe de non-discrimination. Son article 7 interdit la torture, les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. L’article 12 protège la liberté de quitter n’importe quel pays, et le droit d’entrer dans son propre pays.

La Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradant du 10 décembre 1984 développe la protection contre la torture. 

Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes du 18 décembre 1979 apporte une protection particulière à la femme en interdisant toute forme de discrimination à son égard. La Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989 comprend également des dispositions pertinentes, en matière de protection de l’enfant. Le Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la Convention des Nations-Unies contre la criminalité transnationale organisée du 15 novembre 2000, permet de lutter contre le trafic illicite de migrants et de combattre les réseaux de passeurs.

Depuis la promulgation de la Constitution de 2014, se sont succédé plusieurs lois garantissant à certaines catégories de personnes vulnérables une protection particulière, notamment, la loi du 3 août 2016 relative à la lutte contre la traite, la loi du 11 août 2017, relative à l’élimination de la violence à l’égard des femmes et la loi du 23 octobre 2018 relative à l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale.

Cependant, le droit tunisien des étrangers parait en décalage par rapport aux standards énoncés. L’examen du droit tunisien permet de constater que l’étranger est soumis à un traitement discriminatoire. Le droit tunisien apparait comme un droit sévère, intolérant à l’égard de l’étranger. Plusieurs règles mettent l’étranger dans une situation d’infériorité par rapport aux nationaux.

L’importance de ce constat est en corrélation avec le nombre d’étrangers qui résident en Tunisie et qui s’élève, selon les dernières statistiques de l’INS (L’Institut national des statistiques) effectuées en 2014, à 53.490 personnes, se répartissant entre plusieurs nationalités.

Cette étude, ventilée en trois parties, analyse les dispositions qui mettent ce nombre croissant d’étrangers dans une situation d’infériorité.

 

Première partie :

Le contrôle du franchissement de la frontière par l’étranger

La première partie de l’étude revient sur le contrôle strict imposé à l’étranger lors du franchissement de la frontière, pour entrer sur le territoire tunisien ou en sortir.

L’entrée de l’étranger sur le territoire tunisien reste relativement aisée, tandis que sa sortie du territoire tunisien semble plus problématique. L’exemption de

visa facilite l’entrée d’un nombre important de ressortissants étrangers sur le territoire tunisien, et s’inscrit dans un principe de libre circulation des personnes.

On remarquera cependant que le visa reste imposé aux ressortissants de plusieurs

États arabes. Cette exclusion s’explique soit pour des raisons de sécurité, soit par application de la règle de la réciprocité. En effet, des raisons de sécurité expliquent le maintien du visa d’entrée à l’égard des ressortissants syriens et irakiens. Les ressortissants libanais ou égyptiens sont soumis, quant à eux, à l’obligation d’obtenir un visa d’entrée, par application de la règle de la réciprocité, puisque leurs pays imposent aux Tunisiens le visa d’entrée.

Le droit de quitter le territoire tunisien est en réalité limité par l’obligation de se conformer à l’exigence d’un visa d’entrée, obligation imposée par les pays du Nord, notamment les pays de l’Union européenne, aux pays du Sud. Cette obligation résulte des pressions exercées sur la Tunisie en vue de limiter les flux migratoires vers l’Europe.

 

Le non-respect des règles relatives au franchissement de la frontière expose l’étranger à un ensemble de sanctions. Ces sanctions s’appliquent surtout aux migrants qui se rendent illégalement en Europe. En cas d’entrée ou de sortie irrégulière, l’étranger s’expose à des peines de prisons et d’amende prévues par la loi du 8 mars 1968 relative à la condition des étrangers en Tunisie. L’étranger risque aussi l’expulsion vers son pays d’origine dans des conditions violant ouvertement les droits humains.

Les migrants étrangers qui arrivent à rejoindre les côtes italiennes risquent aussi la réadmission conformément aux accords signés avec l’Italie. Ces accords intéressent un nombre très important de migrants irréguliers, puisque l’immigration irrégulière à partir de la Tunisie se dirige essentiellement vers l’Italie. Ils permettent non seulement de réadmettre les nationaux, mais aussi les étrangers qui ont transité par la Tunisie pour se rendre en Italie.

Les étrangers en situation irrégulières, au regard des règles relatives au franchissement de la frontière, s’exposent aussi à l’enfermement dans des camps de rétention. La situation des étrangers enfermés dans les camps de rétention est particulièrement préoccupante car portant atteinte à la dignité humaine. Il existerait plusieurs centres de rétention en Tunisie, dont le «Centre d’accueil et d’orientation d’El Wardiya», ainsi que le «Centre de détention de

Ben Guerdane» à Médenine. Ce dernier a récemment été fermé par décision bministérielle, en mars 2019, en raison « des conditions inhumaines » dans lesquels les migrants se trouvaient.

Le franchissement de la frontière par le migrant a été soumis à un contrôle accru depuis la promulgation de la loi du 3 février 2004 modifiant et complétant la loi du 14 mai 1975 relative aux passeports et aux documents de voyage. S’annonçant de façon timide comme une simple modification de la loi du 14 mai 1975, la loi du 3 février 2004 institue en réalité une législation pénale spécifique à l’aide aux migrations irrégulières et dérogatoire au droit commun.

Cette loi avait comme objectif annoncé de combattre les réseaux de passeurs. Mais le législateur tunisien est allé très loin dans la répression. En voulant lutter contre les passeurs et leurs pratiques immorales, il a, en même temps, incriminé toute forme d’aide, d’assistance ou de soutien qui pourrait être apportée au migrant irrégulier, et a imposé un devoir de signalement. La loi pourrait ainsi s’appliquer à l’aide bénévole ou charitable qui pourrait être apportée au migrant irrégulière.

Après plus de quinze ans d’application de cette loi, le bilan de son efficacité parait être aussi mitigé.

Deuxième partie :

L’installation précaire de l’étranger en Tunisie

La deuxième partie de l’étude s’intéresse aux difficultés que pourrait rencontrer l’étranger en vue de son installation en Tunisie. Le séjour de l’étranger est soumis à l’obligation d’obtenir un visa de séjour et une carte de séjour.

Les règles applicables à l’octroi du visa et de la carte de séjour sont extrêmement restrictives et placent l’étranger dans une situation de précarité.

Ces règles présentent deux défauts majeurs. Tout d’abord, elles sont très restrictives, et ne permettent l’octroi de la carte de séjour ordinaire qu’à un nombre très limité de ressortissants étrangers souhaitant s’établir en Tunisie. Ensuite, elles ont un caractère discriminatoire. Ainsi, seule l’épouse étrangère du Tunisien peut obtenir la carte de séjour ordinaire. Ce droit n’est pas reconnu au conjoint étranger de la Tunisienne.

Outre qu’elle renferme une discrimination entre les étrangers, cette règle renferme également une discrimination entre Tunisiens, et reflète l’idée selon laquelle la femme tunisienne n’est pas «intégratrice» de son conjoint dans la société.

L’attraction de l’étranger vers la société tunisienne se fait ainsi plus facilement à travers les hommes qu’à travers les femmes.

Conjuguées aux lourdeurs de l’administration, les règles applicables au séjour mettent en difficulté, de façon particulière, les étudiants originaires d’Afrique

Subsaharienne. Ceux-ci se retrouvent souvent dans une situation irrégulière avant de pouvoir procéder au renouvellement de leur titre de séjour.

Par ailleurs, le droit d’asile n’a toujours pas été introduit dans la législation tunisienne. L’obligation d’adopter une loi relative à l’asile découle, pour la Tunisie, de la Constitution du 27 janvier 2014 et de ses engagements internationaux. En effet, l’article 26 de la Constitution garantit l’asile politique et interdit l’extradition des réfugiés politiques. La Tunisie est en plus signataire depuis 1967 de la

Convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, du Protocole du 31 janvier 1967 relatif au statut des réfugiés, et de la Convention de l’OUA du 10 octobre 1969 régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique.

À l’heure actuelle, le statut de réfugié ne peut être accordé que par le Haut commissariat des Nations-Unis pour les réfugiés (HCR).

Le HCR travaille en étroite collaboration avec le Croissant rouge tunisien. À l’arrivée des demandeurs d’asile, le Croissant rouge tunisien se charge de leur accueil et de leur enregistrement. Ensuite, il transmet les demandes au HCR. Suite à une procédure assez simple, le HCR prendra soit une décision positive, soit une décision négative.

Si la réponse est positive, la personne obtiendra le statut de refugié. Elle se verra attribuer un certificat de réfugié. Le nombre des personnes ayant obtenu le statut de réfugié auprès du HCR était de 649 personnes au 31 décembre 2016. Certains d’entre eux étaient déjà en Tunisie avant 2011. En février 2019, le HCR comptait 1144 réfugiés et 349 demandeurs d’asile.

Si la réponse du HCR est négative, la personne peut se retrouver dans une situation de non-droit. La situation des «déboutés du droit d’asile» est particulièrement préoccupante. Ils sont, en effet, considérés par les autorités tunisiennes et par le HCR comme des migrants économiques irréguliers, et non des réfugiés. Les «déboutés du droit d’asile» ont mené plusieurs actions afin de protester contre leur situation. Les «déboutés du droit d’asile» encourent deux risques majeurs : la détention ou la rétention, et l’expulsion. Plusieurs migrants ont témoigné des conditions inhumaines dans lesquelles l’expulsion se fait.

Si le statut de réfugié est refusé par le HCR, la personne sera considérée en situation irrégulière au regard des lois relatives au séjour en Tunisie, et risque la détention. Plusieurs «déboutés du droit d’asile» sont détenus dans les centres de rétention. Le centre d’El Wardiya, au sud de Tunis, accueille d’ailleurs un nombre important d’entre eux.

Troisième partie :

L’intégration difficile de l’étranger dans la société

La troisième partie de l’étude analyse les nombreuses limites qui se dressent devant l’intégration de l’étranger dans la société. L’intégration de l’étranger se heurte à un ensemble de discriminations fondées sur la nationalité, la religion ou la race.

En ce qui concerne les discriminations fondées sur la nationalité, l’étranger pourra difficilement accéder à la nationalité tunisienne, car le droit tunisien de la nationalité reste un droit extrêmement fermé à l’égard de l’étranger, et discriminatoire à l’égard de la femme.

Le droit tunisien de la nationalité a pour principale source le Code de la nationalité.

Ce Code a été promulgué par le décret du 26 janvier 1956, quelques mois avant l’acquisition de l’indépendance par la Tunisie. L’essentiel des dispositions de ce

Code a été repris par le décret-loi du 28 février 1963.

La Code distingue entre la nationalité tunisienne d’origine et la nationalité tunisienne acquise.

La nationalité d’origine est attribuée automatiquement, dès la naissance, par le biais du jus sanguinis ou du jus soli. En réalité, la transmission de la nationalité tunisienne d’origine se fait essentiellement par voie de filiation, par voie du jus sanguinis (le droit du sang). C’est ainsi que toute personne née d’un père ou d’une mère tunisienne sera de nationalité tunisienne. L’accès à la nationalité tunisienne d’origine par la voie du jus soli (le droit du sol) reste difficile. En effet, en vertu de l’article 7 du Code, l’étranger ne pourra acquérir la nationalité tunisienne que s’il est né en Tunisie, et que son père et son grand-père paternel y sont eux-mêmes nés. Le texte exige donc la succession de trois générations nées en Tunisie pour que l’étranger puisse intégrer la communauté des nationaux. Cet article n’a jamais été modifié depuis la promulgation du Code de la nationalité.

Quant à l’acquisition de la nationalité tunisienne, elle est régie par des règles plutôt difficiles à remplir. En effet, contrairement à l’attribution de la nationalité tunisienne, qui se fait automatiquement, son acquisition revêt un caractère incertain.

L’acquisition peut se faire soit par «le bienfait de la loi», soit par voie de naturalisation. L’acquisition par «le bienfait de la loi» ne concerne qu’un seul cas : celui de l’épouse étrangère du Tunisien. Quant à la naturalisation, elle est soumise à des conditions assez restrictives.

Cette fermeture du droit de la nationalité à l’égard de l’étranger a des implications  importantes au niveau de l’exercice des droits économiques, qui sont doublement limités par une restriction du droit au travail et limitation de l’accès à la propriété immobilière.

Le droit de l’étranger au travail est limité sur trois niveaux : par une interdiction de l’accès à la fonction publique, une limitation de l’accès à l’activité libérale, et une restriction de l’accès au travail salarié.

L’accès à la fonction publique, est ainsi interdit aux étrangers. La fonction publique est réservée aux nationaux. Le recrutement de personnel de nationalité étrangère peut, de façon exceptionnelle, se faire par voie contractuelle et pour une durée déterminée.

L’exercice des professions libérales, est aussi réservé aux nationaux en principe.

Ainsi, il faut être tunisien pour exercer la profession d’avocat ou la profession d’architecte en Tunisie. Cependant, les architectes étrangers peuvent être autorisés à exercer leur profession après accord ministériel. De même, les étrangers peuvent être autorisés à exercer les professions de médecin et de médecin dentiste avec à une autorisation « temporaire et révocable », accordée par le ministre de la santé après avis du Conseil de l’ordre des médecins.

De plus, les règles régissant le travail des étrangers, en tant que salariés, sont restrictives et limitent le droit au travail. En effet, l’emploi des travailleurs étrangers est soumis à des règles de fond et de forme restrictives. Sur le plan du fond, le contrat de travail obéit, en grande partie, au principe de la préférence nationale. Sur le plan de la forme, la conclusion du contrat de travail est soumise, à des conditions très complexes et incohérentes. Les règles drastiques imposées aux étrangers pour accéder au marché du travail les poussent vers la précarité et les exposent à la traite. La servitude domestique des femmes originaires d’Afrique subsaharienne constitue l’une des figures les plus importantes de la traite des personnes en Tunisie.

L’accès de l’étranger à la propriété immobilière est également limité, malgré l’ancrage du droit fondamental à la propriété dans l’article 41 de la Constitution tunisienne de 2014. En effet, l’accès à la propriété immobilière agricole est quasiment interdit, et son accès à la propriété immobilière non-agricole est strictement contrôlé.

Quelques règles dérogatoires ont permis l’accès de l’étranger à la propriété immobilière agricole. Mais leur portée est quasiment nulle. L’accès des étrangers à la propriété immobilière agricole est resté limité pour deux raisons au moins.

Tout d’abord, il était obligatoirement soumis à l’obligation de résider en Tunisie.

En plus, il était soumis à une autorisation, accordée par voie de décret, qui permet d’assurer le contrôle de l’administration sur les biens appartenant aux étrangers. En pratique, l’autorisation a très rarement été accordée.

L’accès de l’étranger à la propriété immobilière non-agricole est contrôlé au moyen d’une autorisation préalable du gouverneur. Cependant, des dérogations ont été apportées à cette exigence, et notamment pour les ressortissants des États du Maghreb, par des accords bilatéraux. Mais l’application effective de ces accords a pendant très longtemps été suspendue par une pratique administrative contestable. Aujourd’hui, l’application des accords bilatéraux peine à s’imposer au niveau de la pratique.

Par ailleurs, de nombreuses discriminations d’origine religieuse frappent l’exercice des droits familiaux par l’étranger. Ces règles discriminatoires, concernent aussi bien les rapports familiaux extrapatrimoniaux, que les rapports patrimoniaux. C’est ainsi que l’interdiction du mariage de la musulmane et du non-musulman, la négation du droit de garde de la mère étrangère ou encore à l’empêchement successoral fondé sur la disparité de culte placeront l’étranger dans une situation d’infériorité.

Jusqu’à une époque très récente, le mariage de l’étranger non-musulman avec la Tunisienne pouvait être entravé en raison de l’empêchement matrimonial fondé sur la différence de culte. Bien qu’il ne le prévoie pas clairement, l’article 5 du Code du statut personnel a été interprété, par référence au droit musulman, comme interdisant le mariage entre la musulmane et le non-musulman. Cette jurisprudence imposait des règles discriminatoires à l’égard des étrangers désirant épouser des Tunisiennes.

La tendance a cependant été remise en cause aujourd’hui par les tribunaux et par une intervention du pouvoir exécutif, mais il n’est pas du tout certain qu’elle soit confirmée et reste tributaire du bon vouloir de certains responsables.

De plus, un repli identitaire et une argumentation d’ordre confessionnel et culturel a marqué plusieurs décennies de jurisprudence, aboutissant à nier à la mère étrangère non-musulmane le droit de garde. Plusieurs décisions rendues, tant par les juridictions du fond que par la Cour de cassation en Tunisie, ont refusé l’exequatur aux jugements étrangers accordant à la mère étrangère son droit de garde en raison de leur contrariété à l’ordre public international, auquel les juges donnaient une contenu confessionnel.

Mais il est permis de penser que cette jurisprudence a été remise en cause. La Cour de cassation fonde aujourd’hui l’ordre public sur l’intérêt de l’enfant, et admet donc le droit de garde de la mère étrangère non-musulmane.

Le retour au droit musulman, a également servi comme fondement à une jurisprudence contestable, refusant au parent étranger et non-musulman son droit à l’héritage.

Comme pour le mariage, aucun texte ne prévoit, de façon claire, que la disparité de culte constitue un empêchement successoral en droit tunisien. En fait, la question se ramène à un problème d’interprétation de l’article 88 du Code du statut personnel.

Évoluant en dent de scie, la jurisprudence a connu trois étapes à propos de cette question délicate. Au cours d’une première étape, les tribunaux tunisiens se référaient de façon quasiment systématique au droit musulman pour interpréter l’article 88 du Code du statut personnel, refusant ainsi à l’héritier son droit à l’héritage. Dans une seconde étape, la Cour de cassation hésite entre une interprétation fidèle au droit musulman et une interprétation sécularisée du droit tunisien. Une interprétation sécularisée semble aujourd’hui s’imposer et marquer l’avènement d’une troisième étape de l’évolution jurisprudentielle.

Enfin, la discrimination à l’égard des étrangers se fonde sur l’appartenance raciale.

De nombreux étrangers, originaire d’Afrique subsaharienne souffrent d’actes de racisme, atteignant parfois la violence physique. Le racisme anti-noir est un phénomène déplorable bien connu en Tunisie. Les médias tunisiens et étrangers rapportent souvent des incidents racistes qui se produisent en Tunisie.

Devant la recrudescence des agressions racistes contre les étrangers originaires d’Afrique subsaharienne, les autorités tunisiennes décident enfin de réagir en promulguant la loi du 23 octobre 2018 relative à l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale.

La promulgation de cette loi a été saluée par les militants des droits de l’homme, et les nombreuses associations impliquées dans la lutte contre le racisme en Tunisie.

L’objectif clairement affiché dans l’article 1er de la loi est ambitieux, elle vise en effet à « éliminer toutes les formes et manifestations de discrimination raciale afin de protéger la dignité de l’être humain et de consacrer l’égalité entre les individus en ce qui concerne la jouissance des droits et l’accomplissement des devoirs, et ce, conformément aux dispositions de la Constitution et des conventions internationales ratifiées par la République tunisienne ». Pour une plus grande protection, l’article 2 de cette loi définit de façon élargie la discrimination raciale.

Product details
Date of Publication
Mai 2019
Publisher
Association Tunisienne de Défense des Libertés Individuelles (ADLI), Heinrich Boll Stiftung
Number of Pages
108
Licence
Tous droits réservés
Language of publication
Francais, Arabe, Anglais
ISBN / DOI
978-9973-0976-0-6
Table of contents

 

TABLE DES MATIÈRES

LISTE DES PRINCIPALES ABRÉVIATIONS

SYNTHÈSE

INTRODUCTION

1. L’étranger dans l’histoire de la Tunisie

2. L’étranger aujourd’hui

3. Quel est aujourd’hui le statut de l’étranger ?

a. L’étranger dans les textes relatifs aux droits humains

b. Le droit tunisien de l’étranger

PREMIÈRE PARTIE /

LE CONTRÔLÉ DU FRANCHISSEMENT DE LA FRONTIÈRE PAR L’ÉTRANGER

A. Les règles applicables du franchissement de la frontière par l’étranger

1. Une entrée relativement aisée sur le territoire tunisien

2. Une sortie difficile du territoire tunisien

B. Les sanctions encourues par l’étranger

1. L’emprisonnement et les amendes

2. La réadmission : les accords conclus avec l’Italie

3. L’enfermement dans les camps : l’exemple du camp d’El Wardiya

DEUXIÈME PARTIE /

L’INSTALLATION PRÉCAIRE DE L’ÉTRANGER SUR LE TERRITOIRE TUNISIEN

A. La restriction du droit au séjour

1. Le visa et la carte de séjour ordinaires

2. Le visa et la carte de séjour temporaires

3. Les difficultés rencontrées par les étudiants originaires d’Afrique subsaharienne

B. La restriction du droit d’asile

1. La situation actuelle : l’octroi de l’asile par le HCR

2. Le blocage du projet de loi de 2016 sur l’asile

TROISIÈME PARTIE /

L’INTÉGRATION DIFFICILE DE L’ÉTRANGER DANS LA SOCIÉTÉ

A. La discrimination à l’égard de l’étranger en raison de la nationalité

1. Un accès difficile de l’étranger à la nationalité tunisienne

a. Le caractère fermé du droit de la nationalité

b. Le caractère discriminatoire du droit de la nationalité

2. Les implications : un accès difficile des étrangers aux droits économiques

a. La limitation du droit au travail

a.1. L’interdiction de l’accès à la fonction publique

a.2. La limitation de l’accès à l’activité libérale

a.3. La limitation de l’accès à l’activité salariée

a.3.1. Un accès soumis à des règles drastiques

a.3.2. Des règles poussant vers la précarité :

la servitude domestique des femmes subsahariennes

b. La limitation de l’accès à la propriété immobilière

b.1. L’interdiction de l’accès à la propriété immobilière agricole

b.2. La limitation de l’accès à la propriété immobilière non-agricole

B. La discrimination à l’égard de l’étranger en raison de la religion

1. La discrimination au niveau des rapports familiaux extrapatrimoniaux

a. Les rapports de couple : les entraves à la liberté matrimoniale de l’étranger

a.1. Le refus du mariage entre la Tunisienne musulmane et l’étranger nonmusulman

a.2. L’admission «incertaine» du mariage de la Tunisienne musulmane et

l’étranger non-musulman

C. La répression de l’aide au franchissement de la frontière par l’étranger

1. Le régime «léger» antérieur à 2004

2. Le régime sévère institué par la loi du 3 février 2004 «relative à l’aide aux

migrations irrégulières»

a. La répression de toute forme d’aide au migrant

b. L’instauration d’un devoir de signalement : la lutte contre les migrations

irrégulières par la délation