L’instance du tribunal fictif, présidée par la présidente sortante de l’ATFD, Ahlem Belhadj, était composée de Sama Faïza Aouidha et Aida Touma de la Palestine, Imen Bejaoui, Yasser Jeradi et Najiba Hamrouni de Tunisie, Asma Kheder de Jordanie et Aida Saif Eddawla d’Egypte, juristes, artistes, militant-e-s activistes des droits humains et journalistes. L’instance ne possède pas de pouvoir coercitif mais elle a tenu une plénière le dernier jour de ses travaux, pour couronner le travail des quatre commissions qui ont examiné les cas des témoins qui ont exposé leurs récits durant les deux jours de départ. Les commissions en questions portaient respectivement sur la violence morale, sexuelle, économique et politique.
Il est à rappeler que l’Association Tunisienne des Femmes Démocrates organise cet événement dans le cadre du projet «une justice transitionnelle sensible au genre». Cette initiative est à l'origine de la dénonciation des violences faites aux femmes, tout en leur permettant de parler et d'évacuer leurs souffrances. C’est ainsi que pendant les deux premières journées du déroulement de l’événement, nous avons pu écouter attentivement les témoignages de femmes Tunisiennes, Algériennes, Egyptiennes et Yéménites.
Les témoignages ont été répertoriés en quatre types : les atteintes aux femmes à l’ère bourguibienne, à l’ère de Ben Ali, durant la période de la Révolution et même dans la période actuelle. C’est ainsi que nous avons pu écouter, dans une salle émue aux larmes les récits de Mbarka Mahfoudh, emprisonnée en 1972 et torturée pour avoir appartenu à une organisation non reconnue par les autorités de l’époque, jugée ensuite pour atteinte à la sûreté de l’Etat. S’en est suivie le témoignage poignant de Taous Cheraiti, épouse de Lazhar Cheraiti, qui a été kidnappé et exécuté sous Bourguiba, accusé de conspiration contre la personne du président de la république. La famille Cheraiti vit dans la douleur jusqu’à aujourd’hui et n’a jamais pu avoir la dépouille du père qui reste jusqu’à ce jour introuvable. Des témoignages de l’Algérie, sur la ‘’décennie noire’’ et tout ce qu’ont subi les femmes à cette époque étaient d’une dureté extrême. Entre exécutions, kidnapping, viols et tortures en tout genre, ces femmes sont venues rappeler qu’elles demandent que justice soit faite. Les bourreaux doivent être jugés et punis pour ce qu’ils ont fait. Au lieu de cela, elles se sont retrouvées ‘’obligées’’ de ravaler leurs douleurs et de classer les dossiers avec la venue du Pacte de la Réconciliation Nationale, qui a amnistié les membres du FIS algérien et qui a clôt les dossiers des poursuites contre les bourreaux de ces centaines de familles.
Un des témoignages les plus marquant de ces travaux du tribunal fictif était celui d’une jeune fille, travaillant chez la belle famille du président déchu Ben Ali, éloignée des siens pendant sept années et qui a été torturée puis jugée dans une affaire montée de toutes pièces pour enfin se retrouver derrière les barreaux jusqu’en Juillet 2012.
Les témoignages des mères des martyrs de la Révolution Tunisienne étaient eux aussi poignants. Avec les mères des blessés notamment, elles racontent leurs mésaventures avec les instances tunisiennes, les ministères et les personnes chargées des dossiers de leurs enfants. Elles déplorent que trois années soient passées sans qu’aucune mesure ne soit entreprise pour leurs cas, et pleurent en se rappelant que tous les procès des martyrs ont fini par un non lieu pour les tueurs présumés. Beaucoup d’entre elles espèrent obtenir réparation avec la justice transitionnelle. Mais les espoirs, s’amenuisent au fil des jours. C’est ce qui transparaît le plus dans nos entretiens avec elles.
Ahlem Belhadj, présidente du tribunal fictif, nous a confié que le combat n’était pas gagné d’avance : «Avec tout ce qui s’est passé concernant les archives, les réformes à la va-vite, les indemnités, etc., et surtout le retard de trois ans au niveau de la justice transitionnelle, ça ne se présente pas bien, mais rien n’est impossible» rétorque-t-elle.
Les femmes libyennes n’ont pas été oubliées non plus. Asma Kheder, qui a fait partie de la commission d’enquête internationale sur les violations des Droits de l’Homme commises lors de la révolution libyenne en 2011 en a parlé et a sensibilisé l’instance sur la nécessité de les inclure dans les travaux du tribunal fictif des femmes survivantes aux violences.
Durant ces trois jours au sein du tribunal fictif, nous nous sommes posés la question à propos du terme ‘’survivantes’’, question à laquelle Souha Ben Othman, juriste et militante au sein de l’ATFD a bien voulu répondre pour nous donner plus d’explications : ‘’Survivantes parce que ces femmes ne sont pas des victimes. Elles ont survécu. Sur le plan international, la terminologie féministe a changé de victime à survivante parce que les femmes ne doivent pas être en position de faiblesse. C’est une terminologie qui protège la dignité de ces personnes’’.
Dignes, ces femmes l’étaient effectivement. De Mbarka Aouainia Brahmi à toutes les autres, en plus de l’assistance et de l’instance ainsi que des marraines de ce tribunal fictif, nous avons senti beaucoup de détermination, une volonté de vivre et de changer les choses, un désir inassouvi de justice et de paix, autant intérieure qu’extérieure. Une anecdote peut être rajoutée : la couleur orange qui était majoritairement de mise dans les habits des présentes, couleur de la confiance que ces femmes accordent à l’avenir, à une justice transitionnelle et à un monde sans violences à leur encontre.