La pollution environnementale est mentionnée dans notre constitution pour la première fois dans l’article 45, qui dispose : « L’État garantit le droit à un environnement sain et équilibré et la participation à la protection du climat. L’État se doit de fournir les moyens nécessaires à l’élimination de la pollution de l’environnement ». La Journée Mondiale de l’Environnement du 5 juin a été, l’occasion de faire le bilan sur l’Etat de l’environnement en Tunisie. En rappelant la situation difficile dans laquelle se trouve certains de nos concitoyens vivants dans des zones polluées.
Cette année, le mouvement « Stop Pollution », une mouvance composée en majorité des jeunes de la ville de Gabès, soutenue par la LTDH et la Fondation verte allemande « Heinrich Böll Stiftung », a choisie d’attirer l’attention de l’opinion publique sur la pollution dont souffre cette oasis côtière et la situation d’isolement dans laquelle se trouve Gabès depuis 40 ans. L’objective était de dynamiser le débat et de définir une marche à suivre avec des interventions pour présenter les outils et principes juridique applicables. En effet, il est nécessaire de trouver des solutions rapides et efficaces, face à cette pollution au multiple causes, qui ne cesse de s’aggraver. Il y a bien sur la pollution industrielle avec le tristement célèbre Groupe Chimique Tunisien mais pas que lui. Le parc industriel situé à l’entrée de la ville impressionne par la taille de ses usines et aussi par les rejets atmosphériques perpétuels. La fumée blanche épaisse, qui en sort est visible à des kilomètres. Il y a aussi les installations des réseaux d’eaux usées, qui déversent directement dans la mer, devenue interdite à la baignade dans plusieurs zones de Gabés.
Aurait-on décidé de sacrifié le bonheur et la qualité de vie des habitants du sud par pur choix économique ? Aurait-on construit un parc industriel similaire à Sousse ? Il y a jusqu’aujourd’hui une volonté politique, qui s’accommode consciemment avec la pollution.
Il est vrai que la région, comme le reste de la Tunisie, souffre d’un chômage endémique et de nombreuses difficultés économiques et la fermeture de ses usines ou leur déplacement ailleurs sur le territoire, accentuerait la sensation d’isolement de la zone. Ce n’est pas ce que veulent les jeunes du mouvement STOP POLLUTION conscient du dilemme économico - environnementale de leur région. Ils voudraient faire savoir aux autorités centrales situées 500km plus au nord que leur ville bénéficie d’un capital naturel, qu’il est vital de préserver ; tel que : les oasis, les canyons, les sources d’eaux tellement précieuse dans cette région aride.
Un pas en avant pour Gabes serait de lui faire bénéficier de subventions et de plans de développement durables ; miser sur la dépollution en installant des filtres, établir les futures usines dans un parc excentré de la ville; trouver une solution durable et accepté pour le stockage du phosphorgypse; du littoral donc vers l’intérieur des terres mais également interdire l’installation d’usines directement sur la mer à Gabès ou ailleurs sur le territoire. L’objective n’est pas l’arrêt de toute activité industrielle à Gabes ou même la fermeture de l’usine du Groupe Chimique mais de limiter la pollution et permettre aux habitants de jouir de leur droit constitutionnel a un environnement sain et équilibré qui est également appuyé par plusieurs lois et décisions. Par exemple le décret loi sur la qualité de l’air promulgué en 2010 qui oblige les usines polluantes à respecter les normes environnementales, mettre en place des techniques pour limiter la pollution telles que des filtres dans les cheminées ou interdire le déversement des effluents directement en mer.
L’article 45 de la Constitution qui oblige l’état à fournir les moyens nécessaires pour combattre la pollution pourrait même constituer un premier pas vers la consécration du principe de pollueur-payeur. Sur ce point, on attend de l’Agence Nationale pour la Protection de l’Environnement (ANPE) de mettre en œuvre le plan d’action national qu’elle a élaboré en 2016 pour les années à venir. Lors d’une rencontre avec la direction « Suivie des milieux environnementaux » de l’Agence National pour la protection de l’environnement (ANPE), nous apprenons que le rapport de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) sur les villes internationales les plus polluées comporte des données erronées en ce qui concerne la Tunisie. En effet, le rapport ne serait basé que sur une seule étude incomplète d’un spécialiste. C’est ainsi qu’elle a surpris beaucoup de Tunisiens en plaçant Sousse, Tunis, Bizerte et Sfax en tête de liste. L’ANPE est en train de rectifier cette erreur et une correction de la part de l’OMS est attendue prochainement listant Gabes et Gafsa avant les centres industriels Sfax, Tunis et Bizerte.
Mais cet exemple nous mène au cœur du problème de la gestion de la pollution de Gabes : le manque d’accessibilité des données publiques et de fiabilité des informations. Certes, il y a des intérêts politiques et économiques pour le gouvernement et les groupes industriels à l’exploitation du phosphate a grande échelle dans cette région défavorisée. Cependant cela se fait au détriment de l’environnement et des conditions de vie des populations locales. À ceux qui pensent que ce n’est pas la priorité dans la situation actuelle du pays au plan sécuritaire et économique, il faudra qu’ils sachent qu’il s’agit d’une action fondamentale à entreprendre en urgence s’agissant également de menace réelle sur la vie des habitants. La nouvelle Constitution de la deuxième république tunisienne, mondialement saluée, à accordé à la protection de l’environnement sa juste valeur.
Nos recommandations sont les suivantes :
- D’abord rétablir la communication entre la société civile, l’ANPE, le groupe chimique et le ministère de l’industrie car les années d’inaccessibilité et non-fiabilité de l’information ont mené à une méfiance réciproque et donc à un blocage de la situation.
- Travailler ensemble en utilisant les institutions et procédures existantes en Tunisie comme le mécanisme de plainte de l’ANPE et l’application du décret loi sur la qualité de l’air à partir de septembre 2016 (les émissions des usines seront contrôlées en temps réel au sein de l’APNE) ainsi qu’un Code de l’Environnement clair et précis, qui fera respecter le droit à un environnement sain constitueraient des pas en avant.
Fatma Houissa, Avocate
Simon Ilse, Heinrich Böll Stiftung