Que faire de nos bouteilles et de nos sacs en plastique ? C’est simple : les envoyer ailleurs. Jusqu’à récemment, les pays développés expédiaient la plupart de leurs déchets difficiles à recycler en Chine. Mais ce n’est plus possible aujourd’hui.
Jusqu’en janvier 2018, la Chine était la principale destination des déchets plastique du reste du monde (notamment des pays du G7) qu’elle recyclait en les fondant et en les transformant en granulés. Le pays avait ainsi recueilli à peu près la moitié de la production planétaire depuis 1988, mais la situation a connu un brusque coup d’arrêt lorsque les autorités chinoises ont annoncé qu’elles n’accepteraient plus que les balles de déchets contenant moins de 0,5 % de matières non recyclables contaminantes (une forte baisse par rapport au 1,5 % antérieur). Le nouveau cahier des charges est pour ainsi dire impossible à respecter puisque les plastiques recyclés aux États-Unis contiennent entre 15 et 25 % de produits contaminants. Cette nouvelle réglementation exclut donc d’office l’écrasante majorité des déchets et elle a fait l’effet d’une bombe chez les professionnels du recyclage partout dans le monde.
La Chine avait de nombreuses raisons de fermer ses portes aux déchets étrangers. Les « installations de récupération des matières » des pays développés effectuaient en effet un tri préalable dans les déchets plastiques, gardant les matières valorisables (comme le PET ou le PEHD) pour un recyclage local et expédiant le reste, de moins bonne qualité. Or ces déchets contiennent toutes sortes de matières, d’additifs chimiques et de teintures qui les rendent presque impossibles à recycler. De plus, les personnes employées au traitement de ces cargaisons sont souvent exposées à des substances chimiques dangereuses. Enfin, le plastique qui ne peut pas être recyclé part dans des incinérateurs ou sur des décharges, sauvages ou non, et pollue l’air, les sols et la mer. Ce sont donc ces problèmes environnementaux et sanitaires qui ont conduit le pays à fermer ses frontières, bouleversant le flux des déchets plastiques dans le monde.
En 2016, les exportations de déchets plastiques vers la Chine dépassaient chaque mois les 600 000 tonnes. En 2018, elles étaient tombées à moins de 30 000 tonnes.
Le principal importateur de déchets plastiques s’étant retiré du marché, les pays exportateurs se sont mis à cibler l’Asie du Sud-Est. En Thaïlande, les importations ont été multipliées par près de 70 entre janvier et avril 2018 par rapport à la même période de l’année précédente, et en Malaisie, par plus de 6. Dans le même temps, les importations chinoises chutaient de 90 %. Les ports se sont retrouvés littéralement engloutis par les quantités de déchets, ce qui a provoqué une brusque hausse des opérations de recyclage et des expéditions illégales. En mai 2018, un important terminal vietnamien a refusé temporairement d’accepter de nouveaux rebuts après avoir amassé plus de 8000 conteneurs remplis de plastique et de papier. En Malaisie, près de 40 usines de recyclage illégales ont vu le jour ; elles rejettent des eaux usées toxiques dans les cours d’eau et polluent l’air avec les fumées provoquées par la combustion des déchets. En Thaïlande, enfin, il a suffi d’une seule descente aux inspecteurs de police pour découvrir 58 tonnes de plastiques importées illégalement.
L’impact des déchets sur l’environnement et la santé a poussé de nombreux pays à restreindre voire à interdire les importations de déchets plastiques. La Thaïlande et la Malaisie ont ainsi fait savoir en 2018 qu’elles cesseraient d’en importer d’ici 2021. Elles ont été suivies en 2019 par l’Inde et le Viêtnam. Quant à l’Indonésie, elle a décidé de restreindre les importations de déchets non recyclables.
Ces mêmes pays luttent également contre les importations de rebuts contaminés en les renvoyant d’où ils viennent. En mai 2019, les Philippines ont ainsi obtenu que le Canada reprenne des déchets mal étiquetés qui avaient été déchargés sur leur sol six ans plus tôt. Toujours en mai, Yeo Bee Yin, la ministre malaisienne de l’Environnement, a déclaré que son pays renverrait 3000 tonnes de déchets d’ici la fin de l’année – soit l’équivalent de 50 conteneurs – vers des pays comme le Royaume-Uni et les États-Unis.
En juillet 2019, c’est l’Indonésie qui a annoncé que 49 conteneurs stationnés dans le port de l’île de Batam allaient repartir vers l’Australie, la France, l’Allemagne, Hongkong et les États-Unis, au motif que leur contenu viole la réglementation sur l’importation de déchets dangereux et toxiques. Ce même mois, le Cambodge a déclaré « qu’il n’était pas une poubelle » et qu’il allait renvoyer 1600 tonnes d’ordures.
La Grande-Bretagne et les États-Unis comptent parmi les plus gros exportateurs de déchets plastiques au monde, mais l’essentiel de ce qui arrive en Asie est pour ainsi dire impossible à recycler.
Face à ces déchets qui s’amoncèlent et au marché mondial du recyclage qui s’effondre, les pays exportateurs se sont résolus à mettre en décharge ou à brûler leurs déchets recyclables. C’est notamment le cas du Royaume-Uni, où des milliers de tonnes de plastiques disparates destinés au recyclage sont envoyées dans des incinérateurs, et des États-Unis, où certaines villes de Floride, de Pennsylvanie et du Connecticut ont choisi l’incinération, tandis qu’elles mettent en décharge ce qu’elles ne peuvent pas stocker. L’Australie a annoncé de son côté que les exportations de déchets recyclables allaient être interdites pour lutter contre la pollution des océans, et réfléchit à la solution de l’incinération.
Il n’en reste pas moins que ce procédé émet du monoxyde de carbone, du protoxyde d’azote, différentes particules, des dioxines, des furanes et d’autres polluants susceptibles de provoquer des cancers, des maladies respiratoires, des troubles nerveux et des malformations congénitales, et que ces émissions touchent les communautés voisines des installations. Quant aux cendres résiduelles, elles peuvent finir dans la terre et l’eau et les contaminer.
C’est du monde industrialisé que sont exportés la plupart des déchets plastiques et c’est principalement en Asie qu’ils arrivent. Ils se composent essentiellement de récipients, de films et de feuilles.
Les interdictions et autres restrictions imposées par l’Asie ainsi que l’aggravation du problème des déchets plastiques ont souligné la nécessité de réformer le système d’échange des déchets au niveau mondial. En mai 2019, 187 pays se sont mis d’accord pour amender la Convention de Bâle (qui fixe les règles des mouvements de déchets dangereux) afin de soumettre les expéditions de déchets plastiques à des contrôles plus stricts et à une plus grande transparence. Prévu pour entrer en vigueur en 2021, cet amendement devrait accroître l’obligation de rendre compte des échanges de déchets plastiques et ainsi en empêcher les pires effets, tout en ouvrant la voie à des réformes plus poussées.
Tandis que la planète entière se débat au milieu de ses déchets, les industriels prévoient d’augmenter de 40 % la production de plastique au cours des dix prochaines années. Le coût grandissant des monceaux de rebuts oblige toutefois les États à agir. Certaines villes et certains pays imposent des interdictions, des taxes et autres sur les emballages à usage unique afin d’obliger les producteurs à modifier leurs pratiques commerciales. Le monde comprend petit à petit que le recyclage ne nous permettra pas de remédier à la pollution au plastique. Il faut simplement en fabriquer moins.