Le plastique du champ à l'assiette

Atlas du Plastique

L’industrie agroalimentaire est gourmande en plastique. Films et mousses servent à protéger la nourriture, à préserver sa fraîcheur et à inciter à l’acheter. Mais la beauté a un prix : le plastique atterrit dans les champs et s’introduit dans notre système alimentaire.

Concombres sous polyéthylène, salades en bols jetables prédécoupées et lavées, plats préparés en portions individuelles : les rayons des supermarchés regorgent d’aliments sous plastique. Ce matériau, peu présent sur les étals des marchés de quartier, est désormais incontournable dans la grande distribution où les aliments transformés viennent des quatre coins du monde.

Les supermarchés ont la particularité de proposer les mêmes denrées tout au long de l’année, quelle que soit leur provenance, et ce grâce aux emballages qui permettent de garantir leur fraîcheur et de les faire venir de loin. S’ajoute à cela que, le plus souvent, les consommateurs dans les pays développés tiennent à passer peu de temps à préparer à manger. L’aspect pratique constitue donc pour eux une priorité. Des études menées en Allemagne en 2019 ont montré que pour 48 % des personnes interrogées, la préparation des repas doit être rapide et simple. L’industrie agroalimentaire se plie donc à cette exigence en proposant des aliments prédécoupés et précuits sous emballage plastique.

Deux tendances s’affirment à l’heure actuelle : le nombre croissant d’individus qui vivent seuls et en ville et la modification des habitudes alimentaires des classes moyennes. Or ces deux phénomènes ont pour conséquence d’accroître les parts de marché de la grande distribution et du secteur du conditionnement. La quantité d’emballages utilisés par l’industrie agroalimentaire ne cesse d’augmenter depuis des années. Selon Grand View Research, une société américaine d’études marketing, l’industrie de l’emballage pesait 277,9 milliards de dollars en 2017 et affichait une croissance prévisionnelle de 5 % pour l’année suivante. Les tendances en Europe sont tout à fait semblables : en 2018, le secteur a en effet utilisé plus de 1130 milliards d’emballages constitués, bien entendu, majoritairement de plastique. L’Institut pour une politique européenne de l’environnement (IPEE) confirme cette analyse : la plupart des déchets plastiques retrouvés dans les océans ont servi à emballer des aliments.

Peu de recherches portent sur la quantité de plastique qui finit dans le sol, mais on estime que la contamination de celui-ci est quatre à 23 fois plus élevée que celle de la mer.


Les particules de microplastique que les usines de traitement des eaux usées ne peuvent filtrer finissent dans les boues résiduelles qui sont elles-mêmes épandues dans les champs comme engrais.

Mais, dans notre système alimentaire, le plastique ne se retrouve toutefois pas seulement sous forme d’emballages. L’agriculture est en effet le sixième plus gros consommateur de plastique en Europe, et au niveau mondial, le secteur en utilise chaque année autour de 6,5 millions de tonnes. La production maraîchère semble aujourd’hui impossible sans le plastique qui sert à fabriquer les systèmes d’irrigation et les serres, des filets protègent les arbres fruitiers des oiseaux et des champs entiers sont recouverts de bâches qui maintiennent le sol au chaud et permettent d’allonger la période végétative. C’est ainsi, par exemple, que les asperges peuvent être récoltées plus tôt.

La question de la présence de plastiques et de microplastiques dans le sol, dans le bétail et dans notre alimentation n’a été soulevée que récemment et ne fait pour l’instant l’objet que de recherches limitées. Selon certains scientifiques de l’Université libre de Berlin et de l’Institut Leibniz d’écologie des eaux douces et des pêches intérieures, deux organismes basés en Allemagne, les recherches sur les microplastiques dans les océans ont une dizaine d’années d’avance sur celles qui concernent la présence de ces matériaux dans le sol. On estime que sur les 400 millions de tonnes de plastique produites chaque année, un tiers environ finit sous une forme ou sous une autre dans le sol ou dans les eaux intérieures, si bien que selon les endroits, la contamination des terres serait 4 à 23 fois plus élevée que celle de la mer. Les microplastiques modifient la structure des sols ainsi que l’habitat des organismes vivants qui jouent un rôle dans leur fertilisation, depuis les micro-organismes jusqu’aux vers de terre. Ils agissent en outre comme des aimants vis-à-vis de certaines substances toxiques.

des ingrédients invisibles

L’eau en bouteille est présentée comme une alternative saine à l’eau du robinet. Les fabricants sont tenus de détailler la minéralisation de leurs produits, mais les microplastiques ne figurent nulle part.

Partout dans le monde, plusieurs centaines de milliers de tonnes de microplastiques sont déversées dans le sol du fait de l’utilisation des boues d’épuration comme engrais, des boues qui résultent du traitement des eaux usées du secteur industriel et des zones urbaines. En Allemagne, les usines chargées de cette opération filtrent 90 % des particules des eaux usées, qui se retrouvent donc dans les boues résiduelles. Un tiers des boues municipales sont ensuite utilisées comme engrais dans les champs, soit un épandage pouvant atteindre cinq tonnes à l’hectare sur une période de trois ans. Il se peut en outre que le vent transporte une partie des microplastiques, qui plus est sur de longues distances. Il en a notamment été retrouvé dans les Alpes.

Si les effets potentiels de ces microparticules sur le corps humain sont encore mal connus, il est en revanche certain que nous ingérons du plastique à travers ce que nous mangeons et ce que nous buvons. Selon une étude menée en 2019 par l’université de Newcastle, en Australie, nous absorberions jusqu’à 5 g. de plastique chaque semaine, soit l’équivalent du poids d’une carte de crédit. Une autre étude, canadienne celle-là, indique que les personnes qui boivent de l’eau minérale avalent chaque année environ 130 000 particules de microplastique, contre 4000 pour celles qui boivent de l’eau du robinet. Ces chiffres, d’ores et déjà inquiétants, ne disent toutefois rien des conséquences sanitaires de l’absorption de plastique. On ignore ainsi si les particules ingérées peuvent pénétrer dans le sang et donc dans les organes internes. Il est tout à fait possible qu’elles soient ensuite expulsées du corps via le tube digestif.