Les libertés individuelles en 2019: Le danger des populistes!
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Etat des libertés individuelles en 2019

Les libertés individuelles en 2019: Le danger des populistes!
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Introduction

Garantir la suprématie de la Constitution et protéger le régime républicain démocratique et des droits et libertés, tel est le rôle de la Cour constitutionnelle. Or, en l’absence persistante de cette Cour, les lois répressives ont continué à être appliquées, à savoir les articles 226 et 226 bis du Code pénal qui condamnent des « infractions » basées sur des notions vagues et indéfinies telles que les « attentats à la pudeur », « attentats aux bonnes moeurs » et « attentats à la moralité publique ». Par conséquent, les autorités ont porté atteinte aux libertés constitutionnellement garanties, telles que : la liberté de conscience, le droit au respect
de la vie privée et l’interdiction de la torture et des traitements inhumains, dégradants et humiliants.

Primo, la liberté de conscience est menacée principalement pendant le mois de ramadan. Plusieurs acteurs institutionnels s’acharnent de manière prédéterminée contre les non-jeûneurs.

Secundo, le droit au respect de la vie privée qui exige de l’Etat une obligation de non-immixtion est également violé. De surcroît, l’Etat continue de s’ingérer arbitrairement dans tous les aspects de la vie privée à commencer par la vie sexuelle et sentimentale ainsi que la vie personnelle conjugale et familiale, les convictions religieuses ou non religieuses des individus etc.

Tertio, malgré l’engagement de la Tunisie à mettre un terme au test anal non consenti, ces pratiques inhumaines qualifiées de torture continuent d’être appliquées à l’encontre des personnes présumées ou identifiées comme homosexuelles.

Résultat : de tels dépassements ouvrent la voie à des violations des garanties minimales des droits fondamentaux s’appliquant à tous et à toutes. Ces garanties sont exprimées en ces termes dans l’article 21 de la Constitution : « l’Etat s’engage à garantir aux individus une vie digne ». Incontestablement, la dignité est le socle de tous les droits et de toutes les libertés. Hélas, les pratiques policières et même les décisions des tribunaux en la matière ont dévoilé l’écart entre le texte garantissant la liberté et son application par les autorités.

Par ailleurs, ce rapport se situe d’emblée, dans le contexte des campagnes électorales des élections législatives et l’élection présidentielle qui se sont déroulées entre octobre et novembre 2019. A ce moment-là, le paysage politique était agité et les candidat.e.s à la présidentielle portaient des positions controversées sur les libertés individuelles. Entre temps, deux questions principales ont divisé la société et l’opinion publique, à savoir, l’égalité en matière successorale et la dépénalisation de l’homosexualité. Ainsi, la réaction des politicien.ne.es et des candidat.e.s à la présidentielle oscillait entre indifférence, rejet
et des promesses à promouvoir et garantir les libertés individuelles.

Ce rapport vient ainsi faire et comme à chaque année un état des lieux des violations des libertés individuelles commises en 2019 dans un contexte de montée du populisme et d’absence de garanties réelles de la mise en oeuvre de la Constitution.

En somme, l’année 2019 a été marquée par deux aspects qui permettent d’expliquer les violations des libertés individuelles. D’une part, les questions des libertés individuelles sont placées au second degré. D’autre part, avant, pendant et même après les élections un souffle de populisme impacta la consolidation des droits et libertés.

Les questions des libertés individuelles placées au second degré :
La Tunisie a connu des élections législatives et présidentielles en 2019. Mais les candidat.e.s ont accordé moins d’attention aux questions des libertés individuelles. Ceci peut en effet être expliqué par le fait qu’aborder la question des réformes en faveur des libertés individuelles est perçue par les acteurs politiques comme un risque de perdre des voix aux élections.

Ainsi, « la relégation des questions des libertés individuelles au second plan pendant les élections à la faveur des questions socio-économiques constitue un revers déplorable ». En effet, « le discours ainsi que les programmes électoraux qui ont prévalu dans un contexte de crise économique étouffante, a produit une majorité qui ne donne pas la priorité aux questions liées aux libertés individuelles et à l’égalité ».

Une période marquée par le populisme :
Le populisme naît toujours dans un contexte d’augmentation des inégalités sociales, de corruption des partis au pouvoir et de dégradation considérable (ou d’inexistence) des droits sociaux. Sans nul doute, ce contexte ne cédera pas la place aux questions des libertés individuelles.

De surcroît, la campagne électorale de M. Kais Said (le Président actuel) portait le slogan Acha’ab yourid (le peuple veut) ce qui traduit d’emblée un discours populiste, distancié de la démocratie de représentative. De cette manière, le chef d’Etat ne représente pas le peuple mais il le prend au mot, c’est-à-dire qu’à travers Acha’ab yourid, aucune importance n’est accordée aux libertés individuelles, aux dépends d’une sacralisation de la volonté collective et donc populaire. A fortiori, c’est la volonté du peuple qui absorbe la volonté de l’individu, son autonomie personnelle et l’exercice des libertés individuelles reste tributaire de
la volonté collective.

En d’autres termes, l’individu est réduit au néant, il ne se définit que par rapport à son appartenance au groupe d’où le danger pour les libertés individuelles suite à l’arrivée au pouvoir de M. Kaïs Saïd qui n’a pas caché son opposition à ces libertés en se déclarant contre l’égalité dans l’héritage, contre l’abolition de la peine capitale et contre la dépénalisation de l’homosexualité.

Dans le même contexte, les résultats des élections législatives ont donné lieu à une Assemblée dominée par les populistes. En effet, à côté d’Ennahdha, le parti islamiste qui ne fait pas des libertés individuelles un objectif en soi, mais les intègre, de manière très vague, plusieurs nouvelles forces politiques à tendance populiste s’imposent la Coalition Al-Karama, le mouvement Echaâb, le parti Parti Destourien Libre, Errahma. Ainsi, la Coalition Al Karama, par exemple, refuse en totalité tout débat ou engagement sur les libertés individuelles.

Quant au mouvement Echaâb, les libertés individuelles ne constituent pas une priorité en Tunisie d’aujourd’hui et le débat sur ces questions ne peut être engagé qu’après l’amélioration de la situation socio-économique.

En parallèle, alors que le Parti Destourien Libre n’a pas de positions claires sur la question des libertés individuelles (rejette d’ailleurs la dépénalisation de l’homosexualité), le Courant démocrate, Qalb Tounis et Afek Tounis considèrent les libertés individuelles une priorité dans le contexte actuel au même titre que les autres droits et libertés garantis par la Constitution.

Cependant, cette vague de populisme est contre balancée par l’engagement de la société civile qui travaille sans cesse afin de mettre la lumière sur les violations, protéger l’exercice des libertés individuelles et les consolider à travers des réformes législatives substantielles et une pratique non répressive.

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Date of Publication
Avril 2020
Number of Pages
25
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Language of publication
Français