Haroun: «Victime de la génération sacrifiée»

Haroun vit dans la région du Kef. À la différence de certains de ses amis, il précise que lui, il est encore « là ». Il est célibataire, « diplômé-chômeur » et bénévole au Croissant Rouge depuis 2011. Le bénévolat est pour lui comme une ressource de mobilités, de formation et de relations.

 

Entre l'Algerie et Tunisie

En 2012, Haroun[1] se forme au secourisme en Algérie pour pouvoir agir lorsque des catastrophes naturelles surviennent (glissement de terrain dû à de fortes précipitations, par exemple). Grâce à la formation du Croissant Rouge[2], il obtient un double diplôme en Tunisie et en Algérie et a pu rencontrer des intervenants égyptiens, marocains ou libyens durant ses stages d’apprentissage. Il est désormais affecté au poste responsable de l’axe « jeunesse » d’où il dispense des interventions auprès de nombreuses associations locales de part et d’autre de la frontière : « Je [traverse] facilement la frontière, les douaniers me connaissent et ne m’embêtent pas. Aussi, c’est parce que je reviens le même jour, je fais un aller-retour dans la journée ». La précision n’est pas anodine car si, à ses yeux, les deux régions ne sont séparées que par « une frontière presque virtuelle », il existe toujours en Tunisie, « une loi, une ancienne loi qui dit que jusqu’à 35 ans, on n’a pas le droit de traverser la frontière ». Haroun précise qu’il ne subit pas ces contraintes grâce à son statut de bénévole.

En parallèle, il poursuit une formation en gestion qu’il souhaite compléter avec un diplôme en communication qu’il pense nécessaire pour son poste au Croissant Rouge. Il passe le reste de son temps dans des activités de bénévolat où il bénéficie de stages qu’il suit à Tunis ou Hammamet avec le CREDIF [3]. Haroun est doublement diplômé, en psychologie et en travail social « nous sommes des jeunes diplômés depuis longtemps, on a des idées… mais on n’a pas les moyens. Alors, on reste toujours au chômage ». Haroun vit cette situation comme victime de la « génération sacrifiée ».

Entre projets et nécessité : projet entrepreneurial et contrebande frontalière

Il évoque un projet de base de loisirs qu’il voudrait monter avec son ami Taoufik près du barrage Mellegue mais qui butte sur un soutien financier de la part des banques de solidarité et des associations. Il apparaît, au fil de l’entretien, que ce projet fait suite à plusieurs déconvenues qu’ont vécues les deux jeunes hommes à la fois dans leurs expériences d’étudiants et de salariés. Parallèlement à ce projet et à ses nombreuses participations sociales, Haroun porte aussi un projet plus personnel d’entreprenariat agricole. Il est en cours de discussion avec les différentes instances tunisiennes et étrangères pour bénéficier de soutiens matériels et financier nécessaires à son projet. Il possède déjà quatre ruches familiales et l’association « Jeunesse et citoyenneté » lui a permis d’en acquérir trois autres. Son objectif est de devenir entrepreneur dans l’apiculture et de produire du miel qu’il pourrait vendre à l’étranger. Lorsqu’il en parle, Haroun est transporté, comme plongé dans un autre monde qu’il raconte avec fascination et enthousiasme. Pour son projet, il s’est auto-formé et a acquis de nombreuses compétences, parmi lesquelles l’informatique dont la maîtrise est indispensable.

Gagnant peu, il se rend souvent en louage à Souk-Ahras ou à Tébessa en Algérie pour acheter des produits alimentaires ou contrefaits à bas prix. Il fréquente aussi des marchés algériens plus importants, identifiés comme des plaques tournantes régionales, tels que les marchés d’El Eulma et d’Aïn Fakroun pour y acheter notamment des produits électroménagers ou électroniques qu’il peut espérer revendre en Tunisie.

Frontalier de naissance, franchissant la frontière pour ses activités de bénévole ou pour jouer des différentiels de prix, Haroun considère que l’Algérie et la Tunisie sont très proches, et, qu’ici et là, « on est chez soi ».

 

 


[1] Entretien issu de l’enquête de terrain menée à Tunis et au Kef entre 2014 et 2016 par H-S Missaoui.

[2] Le Croissant Rouge tunisien (CRT) est une association humanitaire fondée à l’indépendance du pays, en 1956. Le CRT est l’une des sociétés nationales du Mouvement international de la Croix Rouge et du Croissant Rouge

[3] Le CREDIF, Centre de recherches, d’études, de documentation et d’information sur la femme, est un centre de recherches spécialisé sur la condition de la femme en Tunisie.