Qu'est ce que les "Communs"?

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Dans le monde contemporain, les sociétés actuelles sont principalement régies par deux forces : l'État et le marché. Vu l’importance de ce modèle, il est parfois difficile d’imaginer un système différent.

Commoning dans un Commun
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Commoning & Communs

Pourtant, il existe une autre manière de partager et de gérer les ressources : les communs. Ces systèmes sociaux auto-organisés naissent lorsque des communautés s'engagent à partager et à gérer les richesses de manière équitable et durable.

Pour comprendre le concept des communs, imaginez un village dont les habitant·es découvrent une source d’eau potable. Ils et elles décident de partager cette ressource afin que chacun puisse y avoir accès - y compris les générations futures. La source d’eau ne sera donc ni une propriété privée, ni gérée par l’Etat : elle appartient à tous.

Commoning dans un Commun

En gérant la source d'eau, les villageois·es pratiquent le commoning - et créent ainsi des communs. Si l'eau en elle-même ne peut être considérée comme un commun, le système social qui émerge autour d'elle en est un. Les communs ne désignent pas uniquement des biens et des services, mais aussi les processus sociaux qui les rendent possibles. En mettant l’accent sur le volet social de la gouvernance, les communs valorisent notamment le travail non rémunéré, sur lequel repose toutes les formes de productivité économique et de bien-être sociétal.

Le commoning est donc un ensemble de pratiques permanentes. Il s'agit d'une manière de gérer une ressource comme les traditions, les connaissances ou les ressources naturelles au profit de tous à travers une communauté bien déterminée qui s'accorde sur un ensemble de règles communes. Comme le dit l'historien Peter Linebaugh : il n'y a pas de communs sans commoning.

Qu'est ce qu'un commun?

Pour mettre en place ce système, les villageois se réunissent pour discuter et décider collectivement des règles de gouvernance de la source d’eau. Pour les définir, ils et elles peuvent s’inspirer des "8 principes de gouvernance des communs" définis par Elinor Ostrom. Ostrom, une économiste politique ayant consacré une grande partie de ses recherches aux modèles de gouvernance réussie des communs, ce qui lui a valu le prix Nobel d'économie en 2009.

Pour faciliter l'accès à l'eau potable et le rendre plus sûr, les villageois·es décident de construire un puits et de partager la responsabilité de la source. Pour sa construction, il faut ainsi se répartir les tâches : certains contribuent aux coûts, d’autres à la main d'œuvre… Que ce soit pour sa construction, son entretien ou le nettoyage, chacun·e s’implique, à son échelle. Dans cette structure sociale, personne n’est soumis aux ordres d’autrui. Contrairement aux modèles traditionnels, la structure est décentralisée et horizontale.

Mais il existe tout de même une forme de réglementation : les villageois·es développent également des outils permettant de vérifier si ce fonctionnement est respecté et établissent des sanctions éventuelles. Celles-ci n’ont pas de but prescriptif : elles doivent être considérées comme des lignes directrices, qui changent en fonction du contexte et des relations sociales spécifiques.

Par ce dialogue, cette coordination et cette auto-organisation, les villageois·es s'engagent dans la gouvernance par les pairs. Au cours de l'histoire, cette forme de gouvernance a permis à de nombreuses communautés à travers le monde de satisfaire leurs besoins.

Mais le développement du système impérialiste et capitaliste a entraîné de nombreuses conséquences : pollution, exploitation de la main d'œuvre, déchets… Des populations ont aussi été dépossédées de leurs terres et l’extraction excessive des ressources naturelles ont poussé les individus à s’adapter autrement. Pour atténuer les conséquences négatives de ce modèle, beaucoup de personnes se sont rendues dépendantes de réglementations et mesures de protection, notamment pour l’environnement, qui n’existaient pas auparavant.

Dans ce contexte, le modèle égalitaire prôné dans notre exemple de village est menacé. Imaginons qu’un jour, une grande entreprise internationale découvre la source du village. Elle décide qu'il serait rentable d'embouteiller l'eau et de la vendre dans le monde entier. Pour cela, cette compagnie demande et obtient une autorisation de l’Etat pour utiliser cette source d’eau. Mais l’affaire va plus loin : désormais, cette entreprise est la seule entité ayant le droit d’exploiter cette ressource. En construisant une clôture autour de la source, la compagnie s’approprie complètement cette ressource et privatise cette terre. Pour les villageois, cela signe la fin de cette richesse commune, construite ensemble, et sa transformation en marchandise. Ce processus s'appelle l'enclosure.

Le processus de l'enclosure

L'enclosure est aujourd'hui un problème dans le monde entier parce qu'elle privilégie la propriété aux dépens des droits d'utilisation. "Elle divise ce que les communs autrefois réunissaient : les gens et la terre, vous et moi, les générations actuelles et futures (...)", comme le précisent David Bollier et Silke Helfrich dans leur livre "Free, fair & alive - The insurgent power of the commons". Ce constat s'impose dans le modèle historique des États qui opprime les droits d'utilisation indigènes et traditionnels et les remplace par des droits de propriété libéraux et par le système de marché.De plus en plus de personnes se voient privées de l'accès aux ressources dont elles ont besoin pour assurer leur subsistance, alors que la nature se renferme, que les espaces sociaux sont de plus en plus privatisés et que la liberté dans le monde numérique se réduit au profit de monopoles privés.

Au vu des conséquences sur ce village, on pourrait se demander pourquoi l’Etat privilégie les intérêts de la compagnie au détriment des habitants locaux. Le prétexte avancé par le pouvoir est que cet arrangement permettrait de mieux gérer cette source d’eau : si la société internationale ne prend pas en charge cette ressource, les villageois·es utiliseront autant d'eau que possible pour leurs foyers et l’irrigation de leurs champs, puisque de nombreux villageois·es dépendent de l'agriculture pour subsister, ce qui risquerait de mener à l'assèchement de la source. L'État justifie cette revendication en citant la "Tragédie des biens communs", une théorie qui s'est largement répandue après que l'écologiste Garrett Hardin a publié un essai portant le même titre en 1968. Dans son ouvrage, il prend l’exemple fictif d'un pâturage partagé par un certain nombre de bergers. Selon lui, pas un seul éleveur ne songerait à limiter le nombre de ses bêtes en pâture, ce qui conduirait inévitablement à une surutilisation du pâturage. Il qualifie ce phénomène de "tragédie des biens communs".

Le principal problème avec la théorie de la tragédie des biens communs est qu'elle ne décrit pas réellement un commun, mais plutôt un régime d'accès libre sans règles ni responsabilités partagées que seule  la propriété privée serait capable de remplacer.

Lorsqu’on parle des biens communs, il faut considérer la propriété comme étant quelque chose de relationnel. Cette notion nous permet d'imaginer d'autres façons “d'avoir" au lieu de "”posséder”.

Ainsi, les villageois·es ne se contentent pas de gérer et de gouverner la source, ils et elles en tirent également de l'eau pour satisfaire un besoin commun. Ces dernier·es ont donc établi des relations réciproques autour d’une ressource dont ils et elles dépendent tou·tes et où la responsabilité est partagée. Il est dans leur intérêt de garantir la protection et l'entretien de la source, non seulement pour leur génération, mais aussi pour celles à venir.

Les besoins de la compagnie qui privatise cette source ne sauraient être plus éloignés de ceux du village. En en prenant le contrôle, c’est plutôt l’entreprise - à but lucratif - qui risque d’extraire plus d'eau que la source ne peut reconstituer naturellement, polluant ainsi les zones environnantes. Poussée par le désir de maximiser les profits et dépourvue de tout lien personnel ou relationnel avec la terre, l'entreprise attribue une valeur marchande à l'eau et rompt ainsi la relation sociale entre la communauté et la terre. Les pratiques sociales, les normes, les connaissances locales, les compétences et le sens social liés à la terre n’ont progressivement plus d'importance.

Relation avec la source d'eau

Cette analogie n’est qu’un exemple de la multitudes de communs qui existent. Les communs peuvent prendre d'innombrables formes. Il n’existe pas de modèle unique et même si certains systèmes de gouvernance semblent offrir de meilleures chances de réussite, chaque pratique sociale doit être adaptée au contexte spécifique dans lequel elle est appliquée. La meilleure manière de se faire une idée de ce que sont les biens communs est d'en faire l'expérience directe ou de s'informer sur des exemples concrets. Les communs existent tout autour de nous : ce sont les jardins communautaires, les semences locales protégées ou encore lorsque des personnes partagent leurs connaissances, dans des espaces virtuels et physiques. Tous les biens communs ont pour objectif de décentraliser la gouvernance, de mettre l'accent sur la durabilité et d'inclure démocratiquement toutes les parties prenantes dans les processus décisionnels.

Pour en savoir plus, il existe de nombreuses ressources en ligne et des livres tels que "Think like a commoner" (David Bollier), "Free, fair & alive - The insurgent power of the commons" (David Bollier et Silke Helfrich), "Patterns of Commoning" (David Bollier et Silke Helfrich) et "The Commoners Catalog for Changemaking" (David Bollier) qui décrivent une multitude de biens communs.

En Tunisie, on peut trouver de nombreuses pratiques et éléments de commoning au sein des communautés rurales et urbaines. En voici quelques exemples :

Dar Emmima et L'ombre du palmier : des centres éducatifs qui proposent des ateliers sur les principes et les valeurs de la permaculture et aident les gens à mettre en place des écosystèmes agricoles durables.

Association des Amis de Belvedere : un groupe de personnes soucieuses de préserver le patrimoine écologique et culturel du Parc du Belvédère, le plus grand espace vert et public du centre de Tunis, ainsi que de proposer des activités créatives et éducatives, notamment aux enfants.

Potager d'Ommi Faiza : un jardin communautaire auto-organisé géré par un groupe de retraités de la Cité CNRPS à Menzah 6. C'est un lieu où les membres de la communauté rencontrent les étudiant·es et les résident·es et partagent des connaissances sur l'écologie, le jardinage et la citoyenneté active. La communauté soutient aussi actuellement les étudiant·es de l'ENAU dans la création d'un potager dans les locaux de l'université.

Cartographie Citoyenne : une organisation qui fournit un accès ouvert aux données par le biais de cartes interactives. L'organisation crée également des cartes en collaboration avec différentes communautés afin de développer une meilleure compréhension des problèmes locaux tels que la pollution, la sécurité dans l'espace public et la mobilité. Donner aux citoyen·nes l'accès à des données précises et accessibles est, selon eux, un fondement de la démocratie participative.

... et bien d'autres encore.