COP28, un autre rendez-vous manqué

                                          

Sultan Al Jaber, COP 28 President and Minister of Industry and Advanced Technology, UAE, declared COP 28 adjourned at 5:11 pm. 13 December 2023

Photo by IISD/ENB | Mike Muzurakis

 

Décembre 2023

 

 


Sommaire

 Introduction

1.     Une COP trompe-l’œil 

2.     Aperçu sur les résultats de la COP27 

3.     Attentes des Parties en amont de la COP28

4.     Le verdict de la COP28

a)     Bilan Mondial préoccupant

b)     Financement climatique, encore non-défini et toujours insuffisant

c)  Adaptation

d)     Pertes et Dommages

Conclusion

 


 Introduction

La COP28 à Dubaï vient de se terminer et c'est l'heure du bilan !

Avec environ 103 000 personnes inscrites, la COP28 était considérée comme la plus grande jamais organisée. Un autre rendez-vous crucial que les lobbyistes des énergies fossiles ne voulaient pas non-plus rater. Ils étaient au moins 2456[1], environ 4 fois le nombre de participants de l’année dernière et ce, en dépit des appels incessant de la société civile internationale[2], appelant l’ONU Climat à s’opposer à la présence et à l’influence des lobbyistes des énergies fossiles dans les négociations.

Le pays hôte ainsi que le président de la COP, Sultan Al Jaber étaient tous les deux décriés par les activistes du climat avant même le démarrage de la Conférence. Ces derniers craignaient un sommet fossilisé étant donné que le chef de société pétrolière Abu Dhabi National Oil Company[3] (Adnoc) était désigné pour présider les pourparlers de la COP28. Les préoccupations de la société civile internationale sont totalement légitimes au regard des aspirations de la société pétrolière qui consisteraient à augmenter ses extractions de pétrole à hauteur de 42% en 2030[4] au moment où nous attendions que la sortie totale des énergies fossiles soit actée durant la COP28. Dans ce contexte, si l’ambitieux pari de ‘’Capture et Stockage de Carbones’’[5] (CCS en anglais) d'ADNOC fonctionne à pleine capacité d'ici 2030, il faudrait environ 343 ans pour capter tout le carbone qu'elle a produit. C’est ce qu’a précisé l’analyse[6] faite par le Global Witness concernant cette technologie qui n’a pas encore fait ses preuves à l’échelle industrielle.

Faut-il le rappeler, l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM) a souligné qu’il était pratiquement certain que 2023 serait l’année la plus chaude jamais enregistrée d’autant qu’en 2022, les concentrations atmosphériques de GES ont atteint pour la première fois le seuil de 50% au-dessus des niveaux préindustriels. Quant aux impacts des épisodes climatiques extrêmes, ça ne relève plus de la littérature ou encore des projections, mais sont désormais une réalité indéniable qui donne raison aux constats scientifiques implacables et justifient les messages de discrédit du Secrétaire Général des Nations Unis, Antonio Guterres.  De son côté, le Secrétaire Exécutif de la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) M. Simon Stiell a affirmé dès le premier jour de la COP qu’il s’agissait de "la plus importante depuis Paris’’. Le chef de l'ONU Climat a fait savoir que "nous avançons aujourd'hui à petits pas, alors qu'on attend des pas de géants."

Comparaison entre les moyennes annuelles e température entre janvier et novembre de chaque année. Source : Copernicus.

Figure 1 : Comparaison entre les moyennes annuelles e température entre janvier et novembre de chaque année. Source : Copernicus.

 Vraisemblablement, et comme communiqué par M. Stiell, les COP patinent depuis 2015 et cela a notoirement accentué le manque de confiance entre les pays du Nord et ceux du Sud à cause notamment des promesses non tenues, à l’instar de l’épineuse question de financement climatique où le fossé entre ce qui est requis et ce qui est fourni anime tous les pourparlers. Cela a fait de la COP28 un rendez-vous tant attendu pour catalyser l’action mondiale en matière de climat.

C’est dans ce contexte d’urgence et de bouleversement climatique que s’est tenue la COP28 dans le 7ème pays producteur de pétrole[7].

 

1.   Une COP trompe-l’œil

La COP28 s’est achevée le mercredi 13 décembre 2023 à Dubai après un report d’environ 24h de la date de clôture initialement prévue par la présidence de la COP. Rien de surprenant lorsque l’on se rappelle que les précédentes COP se sont vues également jouer les prolongations. Le président de la COP28, Sultan Al Jaber s’est précipité pour qualifier la décision adoptée comme ‘’historique’’ et une victoire pour le climat qui va notoirement accélérer l’action climatique mondiale. Une réplique assez courante et à effet de poudre aux yeux que nous avons pris l’habitude d’entendre à l’issue de chaque COP.

Certes, la décision de la COP28 a acté pour la première fois que durant presque trois décennies de négociations ‘’la transition vers l'abandon des combustibles fossiles dans les systèmes énergétiques". Toutefois le texte final demeure en deçà des attentes et traversé de lacunes permettant de contourner l’action climatique réelle.

Pour faire court et vous épargnez le suspens, la COP28 s’est soldée par un autre échec cuisant pour la gouvernance mondiale de climat et c’est ce que j’entends expliquer et justifier dans le présent article.

 

2.   Aperçu sur les résultats de la COP27

Avant de faire le bilan de la COP28, une rétrospective s’impose pour réexaminer les résultats marquants de la COP27, tenue à Sharm El Sheikh en 2022. Le sommet onusien de l’année dernière a tout simplement accouché d’un accord avec des avancées timides en deçà des attentes[8]. Le texte final de la décision de Sharm El Sheikh[9] a réitéré l’objectif de réduire de 43% les émissions mondiales vers 2030, par rapport aux niveaux de 2019, et ce afin de rester sur la trajectoire de 1.5°C

Pour la question d’abandon progressifs des combustibles fossiles, le texte a déçu puisqu’il ne mentionne que la sortie du charbon telle qu’énoncée dans le Pacte de Glasgow (COP26) sans évoquer les autres sources comme le gaz ou le pétrole. Reconnaissons que la décision marquante considérée comme ‘’historique’’ et reflétant un véritable succès s’illustre à travers la création du fonds pour les Pertes et Dommages (article 8 de l’Accord de Paris) devenue question centrale dans les négociations et dont l‘objectif vise à apporter des réponses, notamment dans les pays particulièrement exposés aux impacts qui ne peuvent être évités et dont l’économie ne permet pas de rebondir à la suite de la survenue d’un épisode climatique dévastateur. En effet, certains pays –particulièrement de l’hémisphère Sud- ne peuvent que s’adapter partiellement aux risques climatiques par manque de moyens et à cause de l’imprévisibilité de certains impacts climatiques. Nous trouvons les pays africains en tête de liste des pays fortement concernés par ce fonds. La Tunisie ne fait pas exception et se trouve confrontée à une sécheresse aigue prolongée qui se reflète par des moyennes de température largement au-delà des moyennes saisonnières anormales (4°C d’écart de température en juillet dernier par rapport à la moyenne habituelle du mois) et un déficit pluviométrique préoccupant qui a atteint les 96,5% au mois de septembre[10].

A Sharm EL Sheikh, un consensus a été trouvé pour créer le fonds dédié aux Pertes et Dommages sans pour autant spécifier les pays supposés alimenter le fonds et ceux qui pourraient en bénéficier. Ces aspects cruciaux qui conditionnent la concrétisation du fonds devaient être clarifiés à Dubail ros de la COP28.  Parmi les autres points clés convenus en 2022, il y a ‘accélération de la réduction immédiate et urgente des émissions mondiales, ainsi que la définition d’un objectif mondial en matière d’adaptation, tel qu’énoncé dans l’article 7.1 de l’Accord de Paris.

 

3.    Attentes des Parties[11] en amont de la COP28

Dans l’optique de déconstruire le récit qui ressurgit chaque année à l’approche de la COP, questionnant la délégation tunisienne sur ses prouesses, il est fondamental d’expliquer que les négociations se font au sein d’alliances et de groupes de négociations. De même, les décisions doivent être prises pour aboutir à un consensus. Ainsi, c’est dépourvu de sens de s’interroger sur les bénéfices qu’escompte la Tunisie suite à sa participation aux COP.

Photo by IISD/ENB | Mike Muzurakis

Photo by IISD/ENB | Mike Muzurakis

Parmi les principaux Groupes et Alliances de négociation, je cite les suivants:  

Le Groupe Africain[12] : composé de 54 membres dont 34 sont classés comme pays moins avancés. Il revendique un financement climatique accru, principalement destiné à l’accélération des projets de renouvelables et pour doubler le financement de l’adaptation face aux affres du dérèglement climatique très ressenti dans plusieurs régions du continent. Cela va de pair avec la définition d’un objectif mondial en matière d’adaptation. Plusieurs pays sont en faveur de l’élimination progressive des combustibles fossiles. Toutefois, certains producteurs de pétroles sont plus réticents, à l’instar de l’Angola et du Mozambique.  La mise sur les rails du fonds dédié aux Pertes et Dommages fait partie également des priorités de ce groupe. Le Groupe plaide aussi pour le renforcement des capacités et le transfert des technologies.

Le Groupe des 77 et de la CHINE : il s’agit d’une alliance de 133 pays en développement et de la Chine. L’ensemble des pays représentent environ 85% de la population mondiale. Au sein de ce Groupe, les positions sont souvent divergentes, mais tendent vers la responsabilisation des pays riches et les exhortent par conséquent pour une réduction rapide des émissions des gaz à effet de serre (GES). Un objectif qu’essaye de retarder la Chine en négociant en continu avec les pays les plus pauvres membres du même groupe.  Le Groupe insiste sur le respect de l’objectif de limiter l’augmentation des émissions mondiales à 1,5°C à la fin du siècle et de  

L'Union Européenne (UE): constitue une seule Partie rassemblant 28 pays membres qui s’expriment d’une seule voix. Durant la COP28, le Groupe UE cherchait à accélérer la sortie des énergies fossiles et à engager la Chine et d'autres grandes économies émergentes dans l’alimentation du fonds prévu sur Pertes et Dommages. A vrai dire, ces priorités s’alignent avec les exigences[13] votées par le Parlement Européen[14], à 9 jours de la COP28.

Les États-Unis appellent à la nécessité de tripler la capacité renouvelable au cours de cette décennie et de doubler les efforts en matières d’efficacité énergétique. Tout en soutenant l'élimination progressive de l'utilisation de combustibles fossiles, les Etats Unis comptent intervenir non pas à la source des émissions mais en aval du processus des émissions en captant et en stockant les gaz émis, en l’occurrence les CO2.

Le Groupe Arabe : composé des 22 Etats membres de la Ligue des Etats Arabes, réunis par la langue et la religion, mais demeurent divisés entre pays qui cherchent à retarder la transition vers la sortie des énergies fossiles et les pays comme la Tunisie qui voudraient rapidement basculer dans le mode de développement faible en carbone. De son côté l’Arabie Saoudite continue d’imposer ses positions et d’appeler à des avancées au niveau des dispositions de l’Article 6 qui fixe les mécanismes de coopération.

 AOSIS[15] : c’est l’Alliance des Petits Etats Insulaires au nombre de 39 et qui partagent en commun leur très forte vulnérabilité face aux impacts du dérèglement climatique, en premier lieu l’élévation manifeste du niveau de la mer.  Cette Alliances des îles a un poids considérable dans les négociations. Elle est même à l‘origine de l’objectif de 1,5°C fixé dans l’Accord de Paris en 2015 en plus de celui de 2°C.

4.   Le verdict de la COP28

Sans surprise et comme à l’accoutumée au moment de la clôture de chaque COP, le président de la COP28, Sultan Al Jaber, a qualifié l'accord d'"historique" dans le discours d'approbation de l'accord. Il a ajouté que "Pour la première fois, notre accord final contient des dispositions sur les combustibles fossiles". Le président de la COP28 et chef de la très critiquée entreprise pétrolière Adnoc juge l'accord comme étant "un changement de paradigme susceptible de redéfinir nos économies". Le terme précis utilisé dans le texte de l’accord en anglais est ‘’transitionning away from fossil fuels’’, ce qui veut dire en français ‘’transitionner hors des énergies fossiles’’ ou bien ‘’s’éloigner des énergies fossiles’’. Cette disposition acte la sortie des énergies fossiles sans spécifier une date cible ni des objectifs chiffrés. Il convient de signaler que l’adoption de la sortie des fossiles s’est faite en dépit des manigances de l’OPEC[16] qui cherchait à affaiblir le texte comme nous pouvons le lire dans leur lettre[17] datée du 6 décembre, adressée aux pays membres, les invitant à bloquer toute référence à ‘’l’élimination progressive des combustibles fossiles’’.

Figure 2 : extrait du texte de la décision de la COP28.

Figure 2 : extrait du texte de la décision de la COP28.

Si le pays hôte cherche à faire de la sortie des énergies fossiles comme principale décision à retenir, cela cachait la tentative de détourner l’attention des blocages rencontrés dans les débats non-concluants sur le financement durant les deux semaines des négociations, provoquant le report de plusieurs textes cruciaux au niveau du financement climatique. Ainsi, la transition hors des énergies fossiles éclipse l’absence d’accord autour du financement climatique -ô combien nécessaire- pour le déploiement des énergies alternatives aux énergies fossiles ainsi que les très faibles financements de l’adaptation tels qu’il sera expliqué plus loin dans ce texte.

Un autre aspect que je juge important à mettre en exergue concerne l’unanimité des Parties à l’égard de la décision finale de la COP28. En effet, certains médias ont relayé le caractère unanime du texte final. A mon sens, cette unanimité est trompeuse et il conviendrait plutôt de qualifier la décision de consensuelle. La différence entre ‘’unanime’’ et ‘’consensuel’’ dans la diplomatie multilatérale[18] est incontestable. En effet, dans le cas d’une décision par consensus, il peut y avoir de la neutralité envers le texte concerné voire de l’aversion. De plus, dans la décision par consensus, il n’y a pas de vote formel. D’ailleurs, un scandale est survenu à l’issu de l’adoption de la décision de la COP28 puisque le représentant de l’Alliance des 39 petits Etats insulaires (AOSIS) a fait savoir qu’il n’était pas dans la salle lorsque l’accord a été annoncé. Anne Rasmussen, cheffe de l’Alliance a déploré dans un communiqué[19] le forcing du président de la COP dans lequel elle a exprimé ses réserves, ainsi que celles de toute l’Alliance et a énuméré les lacunes du texte.

L’analyse sémantique de la décision de la COP28 nous permet de déduire que le texte n’est pas contraignant et par conséquent insuffisant au vue du langage souple et flexible utilisé. Il suffit de dire que seulement à huit reprises que le terme ‘’décide’’ a été énoncé dans le document texte[20] du Bilan Mondial composé de 21 pages et 196 paragraphes. Nous trouvons par contre d’autres faibles expressions plus atténuées qui dominent à l’instar de ‘’note’’ (32 fois), ‘’encourage’’ (29 fois), ou encore ‘’invite’’ (14 fois).

Par ailleurs, plusieurs sujets discutés n’étaient pas concluants. Il s’agit au total de 31 points de l’ordre du jour convenus lors de la première session plénière de la COP28.

Etat d’adoption des points de l’ordre du jour de l’agenda de la COP28. Source : CarbonBrief.

Figure 3 : Etat d’adoption des points de l’ordre du jour de l’agenda de la COP28. Source : CarbonBrief.

Parmi les points reportés à la prochaine session des négociations, 12 d’entre eux se sont vus appliquer la ‘’règle 16’’ comme le note Simon Evans, de CarbonBrief. Cette règle 16 du règlement intérieur de la CCNUCC implique que tout point de l’ordre du jour n’ayant pas été convenu, se voit automatiquement transféré à la prochaine session des négociations.

Règle 16 des Règles de Procédures de la CCNUCC .

Figure 4 : règle 16 des Règles de Procédures de la CCNUCC[21]

 Nombreuses[22] sont les voix critiques qui se sont élevées à l’égard du texte final de la COP28. Chefs d’Etats, personnalités politiques et activistes de la société civile n’ont pas hésité à exprimer les lacunes et les failles du texte adopté. Harjeet Singh, de l'organisation Climate Action Network International, a déclaré : "Après des décennies de report, la COP28 a enfin braqué les projecteurs sur les véritables responsables de la crise climatique : les combustibles fossiles. Une direction attendue depuis longtemps pour s'éloigner du charbon, du pétrole et du gaz a été prise". Mais, il a ajouté, "la résolution est entachée de lacunes qui offrent à l'industrie des combustibles fossiles de nombreuses échappatoires, en s'appuyant sur des technologies non éprouvées et peu sûres".

Dans ce qui suit, je propose une analyse non-exhaustive du texte final adopté à la COP28 comme décision finale en mettant en avant les (timides) avancées et ce, en se focalisant sur les principaux points de l’agenda de la COP.

D’emblée et dès le premier jour de la COP, le Brésil n’a pas hésité à soulever les défaillances du processus des négociations fragilisées par l’unilatéralisme et le protectionniste de certains Etats membres. De son côté, le Groupe 77 et de la Chine a donné le ton en appelant les pays développés à augmenter drastiquement le financement de l’adaptation. Quant aux représentants du Groupe Afrique, l’accent a été mis sur l’écart entre les financements promis et ceux réellement nécessaires pour permettre aux pays membres de se préparer aux impacts

 a)    Bilan Mondial[23]préoccupant

Ce Bilan relève d’une importance fondamentale pour la COP28 du fait de la situation de la planète en ébullition et de la nécessité de réévaluer les progrès collectifs investis depuis l’adoption de l’Accord de Paris, visant à réduire les émissions mondiales afin qu’elles soient compatibles avec la trajectoire de 1,5°C à la fin du siècle en cours. D’après le dernier rapport de l’ONU[24], nous sommes sur une trajectoire entre 2.5 et 2.9°C.

L’Accord de Paris ayant prévu dans son article 14 une évaluation des efforts collectifs à travers des Bilans Mondiaux périodiques. Le premier était ainsi prévu en 2023 et doit se reproduire tous les cinq ans. En plus des efforts entrepris dans la réduction des émissions, le Bilan Mondial devrait accentuer les flux financiers après évaluation chiffrée.

Le Bilan Mondial couvre également l’adaptation et ambitionne au niveau de cette stratégie à améliorer la transparence autour du financement de l’adaptation et les moyens pour le doubler, généraliser les services d’information et faciliter l’accès aux systèmes d’alerte précoce.

Au 7ème jour des négociations, une première version d’un texte sur le Bilan Mondial a vu le jour, suscitant un mécontentement de plusieurs Parties qui n’ont pas vu leurs remarques intégrées prises en compte dans le texte proposé.

La société civile s’est aussi exprimé sur le texte proposé le 6 décembre, soulignant que le Bilan Mondial doit planifier une élimination totale, rapide et juste des énergies fossiles d’ici 2050 au plus tard, avec une baisse drastique vers 2030. D’ailleurs, c’est ce qu’a exhorté António Guterres lors du deuxième jour des négociations, appelant même à mettre fin à l’utilisation des énergies fossiles et à l’accélération d’une transition juste et équitable.

Figure 5: au démarrage de la deuxième semaine des négociations (9 décembre 2023), seulement 5 textes ont été validés, tandis que 69 étaient en version provisoire et 16 agendas étaient en attente d’une proposition de texte.

Figure 5: au démarrage de la deuxième semaine des négociations (9 décembre 2023), seulement 5 textes ont été validés, tandis que 69 étaient en version provisoire et 16 agendas étaient en attente d’une proposition de texte.  

 b)    Financement climatique, encore non-défini et toujours insuffisant

Avant tout, il est judicieux de rappeler que jusqu’à ce jour les Parties appellent encore à mettre en place une définition claire de ce que l’on considère comme ‘’financement climatique’’. C’est ce qu’ont martelé plusieurs pays en développement au démarrage de la COP. De même, ils regrettent qu’une grande partie des financements sont des prêts, ce qui aggrave la dette de ceux qui en bénéficient.

Ce manque de responsabilité dans la fourniture du financement climatique a entravé les négociations sur le climat : les pays développés auraient logiquement dû intensifier leurs efforts de financement, notamment pour rétablir la confiance avec les pays en développement. D’ailleurs, selon une analyse antérieure du groupe de réflexion britannique ODI[25], les États-Unis sont largement responsables de l’échec collectif dans le respect des engagements en matière de financement climatique et de financement de l’adaptation. Ils enregistrent un déficit de 34 milliards de dollars et 13 milliards de dollars par an, respectivement. En effet, les États-Unis ont fourni seulement 9 milliards de dollars de financement climatique en 2021, soit 34 milliards de dollars de moins que leur « juste part ».

 

Liste des pays qui ne respectent pas leurs promesses

Figure 6 : Liste des pays qui ne respectent pas leurs promesses[26]

 

La question de financement climatique est parmi les points les plus complexes et les plus problématiques dans les négociations. Afin de simplifier la compréhension des résultats de la COP28 en matière de financement, il est plus judicieux de décliner cette section en 3 points cardinaux. Il s’agit du nouvel objectif chiffré et collectif, le financement à long terme et le Rapport  du Comité permanent du financement :

 -           Nouvel objectif chiffré et collectif : ce sera discuté lors de la prochaine COP29 et devra remplacer l’ancien plancher non-atteint de 100 milliards de dollars par an entre 2020 et 2025. Ce nouvel objectif qui sera finalement fixé en 2024, doit prendre en considération les besoins manifestés par les pays en développement dans leurs CDN actualisés qui datent de 2021. Le calcul de l’ensemble des besoins fait par le Comité Permanent du Financement (Standing Committee on Finance) s’élève à 502 milliards de $[27] jusqu’à 2030.

-          Financement à long terme de l‘action climatique : il a été souligné dans le texte final relatif[28] à ce point ‘’qu’il faut redoubler d’efforts pour améliorer l’accès au financement de l’action climatique, notamment adopter des procédures harmonisées et simplifiées qui permettent un accès direct, afin de répondre aux besoins des pays en développement, en particulier des pays les moins avancés et des petits États insulaires en développement ;

-          Rapport[29] du Comité permanent du financement : a prié les pays développés parties de doubler, au minimum, leur contribution collective au financement de l’action climatique des pays en développement parties pour l’adaptation d’ici à 2025, par rapport aux niveaux de 2019

Ainsi, le financement climatique demeure en deçà de ce qui est requis et n’atteint toujours pas ce qui est promis. Une autre question fondamentale reportée aux prochaines négociations alors que le monde subit de manière avérée les affres de la crise climatique.

 c)     Adaptation

Objectif Global d’Adaptation (Global Goal for Adaptation) : le texte partagé avec les Parties le 12 décembre 2023 a été rejeté par les petits Etats insulaires regroupés au sein de l’Alliance AOSIS qui ont exprimé leur réticence quant à la signature de la version proposée. Le présidant de l’Alliance AOSIS s’est insurgé en disant "Nous ne signerons pas notre acte de décès. Nous ne pouvons pas signer un texte qui ne contient pas d'engagements forts sur l'élimination progressive des combustibles fossiles". Ils regrettaient que le langage utilisé n’était pas assez fort et qu’il n’énonçait pas explicitement la sortie rapide des énergies fossiles.

Communiqué du Groupe de négociation AOSIS

Figure 7 : communiqué de l’Alliance AOSIS.

 Le texte final du 13 décembre semble avoir convaincu les délégués étant donné qu’il est parvenu à mettre en place un programme de travail sur l’Objectif Mondial de l’Adaptation. Ce dernier ne définit toujours pas un objectif chiffré par rapport à l’adaptation et se contente d’exhorter les Parties à soutenir les efforts d’adaptation. En revanche, ce qui est à saluer ce sont les références faites à la nécessité de répondre en urgence aux risques liés aux pénuries d’eau, à l’insécurité alimentaire et à la santé.

d)    Pertes et Dommages

Les travaux ont effectivement bien démarré concernant le cadre des Pertes et Dommages avec l’annonce de la création du Fonds dès le premier jour des négociations, ce qui est inhabituel dans le processus de la CCNUCC. Cette annonce a reçu des promesses de financement en cascade totalisant environ 770 millions de $, largement au-dessous des besoins réels. En effet, le rapport de UUSC et L&DC[30] assure que les pays en développement qui seraient touchés par les impacts dévastateurs du dérèglement climatiques vont avoir besoin d’environ 400 milliards de $ pour reconstruire et rebondir après les épisodes climatiques.  Nous avons maintenant besoin d'un financement beaucoup plus élevé et il faut que la Banque mondiale –désignée comme hôte de ce Fonds-modifie ses méthodes de travail afin de pouvoir fournir des fonds directement aux communautés qui en ont besoin.

Conclusion

Les COP continuent à avancer sur un temps politique lent et insoucieux de l’état de la planète, ce qui ne s’aligne guère avec le temps climatique nécessitant une mobilisation en urgence sur tous les niveaux et par l’ensemble des gouvernements, à commencer par les pays les plus riches. Contre cette réalité, la décision de la COP28 adoptée par consensus -et non à l’unanimité- pourrait être considérée comme intéressante, mais demeure insuffisante. Il s’agit indéniablement d’une avancée par rapport aux COP26 et 27 où la baisse du charbon a été actée. Toutefois, elle reste lacunaire et laisse la place à des utilisations controversées comme l’utilisation du pétrole pour produire plus de plastique ou encore l’utilisation des énergies fossiles avec abattement, c’est-à-dire, recourir aux procédés de capture et de stockage de carbone après émissions. Pareil pour le fait de tolérer l’utilisation de combustibles (Article 29[31]) de transition pour la phase transitoire en dehors des énergies fossiles. Quant au financement climatique, sa définition est loin d’être claire et demeure quantitativement jusque-là très faible. Au niveau de l’adaptation, nous sommes encore très loin d’un objectif global chiffré et mesurable.

Finalement, la COP28 n’a pas scellé la situation très préoccupante de la planète sur le plan climatique, renvoyant les pourparlers à un autre somment qui se tiendra en 2024 à Baku en Azerbaïdjan, un autre pays fossilisé où les craintes portent sur une potentielle mainmise de la Russie sur les négociations. En attendant, et comme le dit le fameux proverbe, ‘’l’homme propose, Dieu dispose’’.

 

 


[5] Le GIEC et l’AIE ont déclaré que le CSC pourrait être utile pour capturer le carbone pour les industries lourdes qui brûlent des combustibles fossiles – comme le ciment ou les produits chimiques – et qu’il faudra du temps pour s’arrêter. Cependant, aucun des deux organismes n’a déclaré que le CSC devrait être utilisé – comme c’est le cas avec l’ADNOC – pour aider à produire davantage de combustibles fossiles à l’origine de l’urgence climatique.

[13] "Le Parlement européen soutient l'objectif mondial de tripler les énergies renouvelables et de doubler l'efficacité énergétique d'ici 2030 lors de la COP28, ainsi que l'élimination progressive et concrète des combustibles fossiles dès que possible afin de ne pas dépasser 1,5°C, y compris l'arrêt de tous les nouveaux investissements dans l'extraction de combustibles fossiles ; invite instamment l'Union et les États membres à jouer un rôle proactif et constructif à cet égard ; réitère son appel à la Commission, aux États membres et aux autres parties pour qu'ils travaillent à l'élaboration d'un traité sur la non-prolifération des combustibles fossiles’’.

[22] euronews.com/green/2023/12/13/cop28-new-draft-text-calling-for-transition-away-from-fossil-fuels-released-to-mixed-react.    

[23] Global Stocktake en anglais.

[31] ‘’Recognizes that transitional fuels can play a role in facilitating the energy transition while ensuring energy security’’.