Ce texte est une contribution de M Mohamed Daly-Sfia qui était panéliste dans notre Green Lecture du 26 novembre 2024 intitulée, ‘’Les Impératifs de la Transition Juste et Durable en Tunisie’’. Son intervention a porté sur les obstacles auxquels fait face la Tunisie dans l’accès aux sources de financement vert. En effet, il s’est penché sur les défis qui font que l’accès soit si limité et a proposé des pistes de solution afin de parvenir à mettre sur pieds les multiples projets de transition dans les secteurs concernés.
Le terme « transition juste » comprend deux mots : le premier « transition » signifie le passage d’une position ou d’une situation à une autre. En général, ce passage suppose que l’on cherche à migrer ou à s’orienter vers une nouvelle situation meilleure ou plus confortable que l’ancienne. En général, la transition pose plusieurs questionnements notamment en termes de vision future, d’objectifs à atteindre ou de moyens à mobiliser pour leur réalisation, etc.
Le terme « juste », est moins facile à caractériser, car il comporte une part de subjectivité et de jugement, provenant de la difficulté même de définir ce qui ce qui peut être juste, de ce qui ne l’est pas ou même encore de tracer une frontière entre les deux.
Ce concept de transition juste s’applique très bien à la problématique de l’environnement et plus précisément à la crise climatique qu’on est en train d’observer et de vivre. Désormais, on recherche une transition d’une économie brune vers une économie verte qui préserve les droits économiques, sociaux et environnementaux des générations actuelles et futures.
Depuis plusieurs décennies, des avancées majeures ont été réalisée dans le monde en matière de transition vers une économie verte. Ces avancées ont été poussées par plusieurs éléments dont les prévisions, les recherches sur la crise climatique. Ces avancées ont aussi été possibles grâce à la prise de conscience des pays en développement, les pays pauvres/moins avancés, et les Etats insulaires, de leur position dans l’échiquier mondial de la vulnérabilité face au climat. Les pays industrialisés ont poursuivi des modèles de développement axés sur la recherche de profit pur caractérisés par une surexploitation du capital naturel. Les pays les moins avancés subissent les impacts divers générés par les activités économiques de ces pays.
Pour s’orienter vers une économie verte, il fallait mettre en place des projets durables : les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique, la valorisation des déchets, l’économie d’eau, l’agriculture durable, écologique, etc. La concrétisation des projets d’envergure nécessite souvent des budgets conséquents et il fallait donc créer des mécanismes de financement. La transition verte nécessite aussi des moyens.
En parallèle aux canaux classiques de la finance (finance multilatérale, bilatérale), on a assisté à l’apparition de plusieurs mécanismes de finance verte notamment les fonds climatiques dont les plus connus sont le FVC, le FA, ou encore le GEF, et le Fonds perte et dommage ‘COP 28 ». A ce niveau, et dans ce contexte, il faut garder à l’esprit qu’un principe primordial été adopté à l’échelle globale : les pays industrialisés riches sont responsables, et doivent compenser financièrement pour les dommages causés aux pays moins avancés et les aider à améliorer leur résilience face aux risques et aléas climatiques futurs.
Quand on parle, de transition juste, il faut aussi que la finance soit juste, ce qui est loin d’être le cas. Il n’y a par exemple qu’à voir les réalisations du FVC depuis sa création et son entrée effective en action. A ce jour, plus de 50% des fonds mobilisés ont été alloués à six grandes organisations internationales notamment les Banques de développement. La dernière COP 29 qui vient d’être clôturée illustre aussi ce constat avec les tensions entre les pays du Sud et ceux du Nord autour de l’enveloppe financière à mobiliser. Il faudrait aussi rappeler que sur les 100 mrds $ promis par an, seulement 10% ont été mobilisés sous forme principalement de dettes et non de dons comme demandé par les pays du sud.
La Tunisie s’est insérée dans cette dynamique de transition verte depuis des décennies. Elle a commencé à mettre en place des projets verts (atténuation et adaptation). Par exemple, les projets d’énergies renouvelable datent de la fin des années 1990-2000 avec l’éolien, ensuite les projets solaires, etc. Bien entendu, les projets les plus importants (infrastructures, etc.) sont mis en œuvre par l’Etat et ils sont financés principalement via des crédits bilatéraux ou multilatéraux. Les partenaires, les plus importants sont des pays traditionnels comme la France, l’Allemagne, l’Italie ou encore le Japon pour des projets divers. Des projets sont financés par des organisations internationales : Banque mondiale, PNUD, FIDA, etc. dans divers domaines et secteurs.
La Tunisie a élaboré plusieurs stratégies en lien avec le CC, bien entendu le document phare reste la CDN, avec l’objectif défini en matière de réduction de l’intensité carbone à 45% à l'horizon 20303, par rapport à son niveau de 2010 et avec un budget d’environ 20Mrds TND provenant de différentes sources. Plus de 70% des financements sont conditionnels, c’est-à-dire provenant de sources internationales.
Bien sûr, il n’y a pas que le secteur public qui a un rôle dans la transition verte, il y a aussi le secteur privé et les ONGs. Le secteur privé comprend les Banques, et les entreprises dans différents secteurs, et même le secteur informel (exp. Les petits agriculteurs). Dans l’ensemble, la contribution du secteur privé reste limitée en raison d’une offre extrêmement limitée de financement dédié à des projets d’atténuation ou d’adaptation. Quant aux ONGs (associations), leur activité dépend souvent de projets ponctuels avec des montants relativement faibles ou encore des small grants (exp. GEF small Grants Program).
Pour plusieurs raisons externes et internes, la Tunisie reste dans une certaine mesure, comme plusieurs autres nations, exclue des financements climatiques les plus importants. Bien sûr, il y a la question des procédures mais les difficultés d’accès sont aussi liées à un manque de préparation et de capacité du pays à mobiliser des financements pour des projets climatiques. Il faut aussi dire, que le contexte international (changement politique (Trump de retour), financement des guerres par les USA et l’UE, etc.) et national (économie en berne) rendent l’accès aux ressources financières pour le climat plus difficile.
Ce contexte se traduit naturellement sur l’environnement national, les acteurs publics et les projets prévus dans le pays. Le secteur privé se trouve aussi dans l’impossibilité de trouver les fonds pour financer des projets d’atténuation ou d’adaptation. Surtout que les mécanismes publics sont souvent inadaptés aux besoins des opérateurs. Les acteurs les plus vulnérables (surtout économiquement) se trouvent aussi exclus des financements climatiques déjà limités. Les petits agriculteurs (souvent dans l’informel), déjà dans difficultés financières ne peuvent donner la priorité à des projets d’adaptation mais pensent plutôt, lorsqu’ils le peuvent à mobiliser de l’argent pour les activités agricoles « classiques » génératrices de revenus.
Les associations, qui sont souvent, le point de relais avec les localités et les populations les plus vulnérables (femmes, personnes en situation de handicap, etc.) se retrouvent aussi dans une situation où il n’y a plus de fonds et de projets pour appuyer ces communautés.
Dans ce contexte, il n’y a pas de solution miracle, le seul moyen pour inverser la tendance récente observée, de se préparer et de renforcer les compétences pour pourvoir être capable de mobiliser les ressources nécessaires et définir des objectifs clairs dans ce sens. L’Etat et l’administration tunisienne doivent jouer leur rôle de locomotive. Une mise à niveau du secteur public s’impose pour assurer sa modernisation et sa conformité par rapport aux exigences et standards internationaux en la matière. Les capacités techniques des ressources humaines des Ministères doivent être aussi être renforcées pour accompagner la transition verte de la Tunisie.
Le secteur privé, les banques doivent oublier la zone de confort dans laquelle elles sont, et éviter la passivité, par rapport à la finance climatique. Les secteurs productifs, et les grandes entreprises doivent, en plus des projets d’atténuation, mettre en place des projets d’adaptation selon une approche filière, et, dans un objectif win win avec les acteurs les plus vulnérables tout au long de leurs chaine de valeur.
Les ONGs et les associations doivent évoluer et s’engager avec tous les acteurs (Etat, SP, etc.) et renforcer leur capacité pour jouer un rôle à part entière dans la transition verte. Elles doivent s’assurer que cette transition verte ne se fasse pas au dépend des populations vulnérables.