Le monde entier touché par la covid-19, des analyses et des rapports traitant l’impact de la propagation du virus sur divers plans, pullulent. Si les conférences et les réunions physiques n’étaient plus autorisées et possibles durant des mois, les webinars, visioconférences et réunions virtuelles ont pris la relève et se sont imposées comme principal outils d’échange.
Malgré les polémiques oiseuses qui persistaient dans certains cercles politiques, le débat est allé bien au-delà des spéculations, des élucubrations et de la désinformation portant sur l’origine du virus. En effet, le monde s’est mobilisé autour de questions brûlantes telles que les pratiques de prévention et de distanciation, les mesures de confinement et de déconfinement ainsi que des répercussions de la pandémie sur l’économie en particulier avec une récession annoncée. C’est un fait avéré que la récession constitue une menace réelle dont les conséquences seront désastreuses pour de millions de personnes qui vont souffrir de l’extrême dénuement, du chômage et de la paupérisation. Sur le plan national, la Tunisie a annoncé avoir vaincu le coronavirus avec zéro cas hospitalisé et seulement quelques personnes portant encore le virus. Le risque d’une deuxième vague plane toujours avec l’ouverture des frontières depuis le 27 juin et l’incapacité du gouvernement à gérer le flux de 300 000 ressortissants au minimum attendus. Certains pays européens se trouvent déjà obligés de recourir au reconfinement local afin d’éviter une possible deuxième vague.
La Tunisie reste tout de même soucieuse de la portée des impacts sur les secteurs vitaux de son économie fragilisée et qui doit faire face à des difficultés considérables. Si l’on observe la plupart des analyses et autres commentaires dans les médias et les réseaux sociaux tunisiens, on se rend compte qu’il y a une focalisation sur les aspects socioéconomiques au détriment de la dimension environnementale quelque peu marginalisée. Cette approche strictement économiste ne peut qu’être limitative et occulte des sujets aussi brûlants que l’écologie. On s’est rendu compte durant les trois derniers mois que l’épidémie, qui s’est transformée en une véritable pandémie, a une origine environnementale incontestable en étroite relation avec certaines activités humaines préjudiciables à plus d’un titre aux milieux de vie des animaux. Le journaliste américain Jim Robins a déjà signalé en 2012 dans son article ‘’The Ecology of Disease’’ (l’Ecologie des Maladies) la responsabilité humaine dans l’émergence de maladies virologiques et comment ce comportement ravageur pourrait provoquer un effondrement des équilibres naturels dont les conséquences sont de toutes évidences néfastes et annoncent un avenir incertain. Dans son article, il précise d’autre part qu’environ 2 millions d’humains meurent chaque année suite à ce qu’on appelle zoonoses, c’est à dire des maladies transmises aux humains par les animaux sauvages et domestiques.
Avant d’entrer dans le vif d’un sujet aussi complexe que la dimension écologique dans le développement, il conviendrait de s’arrêter sur trois traits fondamentaux relatifs aux définitions, qui sont couramment mentionnés par quelques spécialistes et plusieurs des décideurs tunisiens.
D’abord, soyons clairs, il ne s’agit pas d’une simple crise passagère et ponctuelle, mais d’un cataclysme et d’un drame pour toute l’humanité. La différence réside dans l’intensité du choc que nous vivons, sa rapidité et la portée de ses impacts qui ne seront certainement pas résolus à court terme. Pour cette raison, j’éviterai dans cet article et aussi les prochains de qualifier la situation par le terme ‘’crise’’.
Deuxièmement, il est regrettable que les communautés scientifiques et les instances politiques appellent les citoyens à se conformer à la distanciation sociale alors qu’il aurait fallu plutôt la nommer distanciation physique. Cette insistance sur le caractère de la distanciation est au cœur d’une stratégie de lutte efficace qui consiste à garder une distance physique entre nous qui ne signifie pas rupture et éloignement, mais qui appelle à plus de solidarité et à raffermir les liens qui nous unissent surtout en ces moments inédits et difficiles. Tout est donc question d’éloignement physique associé à un rapprochement social. L’élan d’engagement et de solidarité affiché à titre d’exemple par le collectif indépendant ‘’Koujinet Zaweli’’ qui s’est chargé volontairement de collecter et distribuer la nourriture de base aux démunis et nécessiteux témoigne de l’état d’esprit qui a marqué la période de confinement.
Troisième et dernier terme, il est plus raisonnable d’appeler en Tunisie à une réforme profonde et durable qu’à une relance improvisée de l’économie avec absence de perspective à long terme pour l’après-corona. Cet élément est sans aucun doute décisif dans la lutte contre la pandémie dans la durée. Il sera expliqué en détails plus loin dans l’article.
Passer au déconfinement et en finir avec la situation de mise à l’arrêt total est devenu le souhait, voire l’obsession de nombreux citoyens et décideurs confinés, impatients de retrouver le rythme habituel et de revenir à la vie antérieure à la pandémie. Pour cela, un plan de sortie de l’urgence actuelle s’est avéré indispensable à plus d’un titre. Si l’on s’arrête à l’exemple de la Tunisie, nous relevons chaque jour dans les médias et partout dans les tribunes, les blogs et les réseaux sociaux, certains économistes parmi les plus éminents, se focaliser sur des discours portant sur la relance économique et la nécessité de reprendre sans tarder le rythme normal des choses. En effet, il s’avère selon ces experts que les secteurs les plus fortement touchés sont particulièrement le tourisme, l’industrie et le transport (aérien en l’occurrence). On constate que le même message qui privilégie la relance économique inconditionnelle est repris par d’autres économistes et spécialistes qui adhèrent à ce constat. Pour eux, sauver l’économie tunisienne reste indissociable des approches purement libérales à l’origine de l’étouffement et de la sclérose du système et qui occultent à la fois les dimensions sociales et écologiques.
Le souci réside dans le fait qu’un diagnostic erroné, nous conduira vers des solutions ponctuelles qui ne répondront pas aux nombreux défis. La conception répandue en Tunisie, c’est que malgré la profondeur du choc que nous vivons, il n’est pas question d’opérer des changements de grandes envergures dans notre modèle économique et notre vision de la croissance, considérée comme un dogme. Il est certes légitime et indispensable de chercher un plan de sortie, mais ne devrions-nous plutôt pas envisager d’autres mesures pour le long terme ? N’est-il pas au contraire préférable de prendre le temps d’analyser nos orientations dans la création de la richesse, de nous attarder sur les conséquences engendrées par cette croissance effrénée dont les répercussions sont énormes sur le capital humain et naturel? Finalement, ne devrions-nous pas fonder nos théories sur des critères rationnels et critiques pour édifier une Tunisie rayonnante au lieu de continuer à tout remettre pour plus tard et d’avancer aveuglément?